Du commerce
1752
Traduit de l'Anglais par C. Formentin
In
Léon Say
David Hume : Œuvre économique.
Petite bibliothèque économique française et étrangère
Paris, Guillaumin et Cie, 14, rue Richelieu
Sans date [1]
Suivi du texte anglais.
Texte numérisé par Philippe Folliot,
Professeur de philosophie au lycée Ango de Dieppe.
2010.
Du commerce
On peut diviser le plus grand nombre des hommes en deux
classes : les penseurs superficiels,
qui n’atteignent pas la vérité, et les penseurs abstraits, qui vont au-delà. Les derniers sont de beaucoup les plus
rares, et je puis ajouter, de beaucoup les plus utiles et les plus précieux.
Ils suggèrent pour le moins des idées, et ils soulèvent des problèmes, qu’ils
ne sont peut-être pas capables de résoudre, mais qui peuvent susciter de belles
découvertes, quand ils sont repris par des hommes qui ont une manière plus
juste de raisonner. Au pis aller, ce qu’ils disent n’est pas vulgaire, et s’il
en coûte quelque peine pour le comprendre, on a cependant le plaisir d’entendre
du neuf. On apprécie peu un auteur qui ne dit que ce qu’on peut apprendre dans
une conversation de café.
(2) [2] Tous ceux dont la pensée est superficielle sont portés à dénoncer
ceux-là même dont le jugement est solide,
comme des penseurs abstraits, comme
des métaphysiciens, comme des gens qui raffinent la pensée ; ils
n’admettront jamais la justesse de ce qui dépasse leur faible conception. Dans
certains cas, je le reconnais, un raffinement extraordinaire fait naître une
forte présomption de fausseté, et on doit ne se fier qu’au naturel et à l’aisé.
Quand un homme délibère sur ce qu’il doit faire dans une circonstance particulière, et qu’il forme des projets
sur la politique, le commerce, l’économie ou sur quelque affaire vitale, il ne
doit jamais pousser ses arguments jusqu’à la subtilité ni enchaîner une trop
longue suite de conséquences. Quelque chose se produira nécessairement qui
déconcertera son raisonnement, d’où s’ensuivra un événement différent de ce
qu’il attendait. Mais quand nous raisonnons sur des sujets généraux, nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que
nos conjectures ne sont en réalité jamais trop raffinées, pourvu qu’elles
soient justes ; et que la différence entre un homme ordinaire et un homme
de génie dépend surtout du plus ou moins de profondeur des principes sur
lesquels ils se fondent. Les raisonnements généraux semblent compliqués,
uniquement parce qu’ils sont généraux ; il n’est pas facile au gros de
l’humanité de distinguer, au milieu d’un grand nombre de détails, la
circonstance commune sur (3) laquelle tout le monde est d’accord, ou de
l’extraire, pure et sans mélange, des autres circonstances superflues. Pour la
plupart des hommes, toute opinion ou toute conclusion est particulière. Ils ne
peuvent étendre leurs vues à ces propositions universelles qui embrassent un nombe infini d’individus et renferment toute une science
dans un seul théorème. Leur regard est troublé par une perspective aussi vaste,
et les conclusions qui en sont tirées, même exprimées clairement, leurs
semblent embrouillées et obscures. Mais quelque embrouillés qu’ils puissent
paraître, il est certain que les principes généraux, s’ils sont justes et
sains, doivent toujours prévaloir au cours général des événements, quoiqu’ils
puissent faillir dans les cas particuliers ; or, c’est la principale
affaire des philosophes de considérer le cours général des événements. Je puis
ajouter que c’est aussi la principale affaire des hommes politiques, surtout dans
le gouvernement intérieur de l’Etat, où le bien public, qui est ou doit être
leur but, dépend du concours d’une multitude de causes, et non pas, comme dans
la politique étrangère, des accidents ou du hasard, ou des caprices de quelques
individus. Voilà donc ce qui fait la différence entre les délibérations particulières et les raisonnements généraux, et pourquoi la subtilité et le
raffinement conviennent beaucoup plus à ceux-ci qu’à celles-là.
J’ai cru que cette introduction était nécessaire avant de
commencer les entretiens qui (4) vont suivre sur le commerce, la circulation
monétaire, l’intérêt, la balance du commerce, car on y
rencontrera peut-être quelques principes peu communs, qui pourront sembler trop
raffinés et trop subtils pour des sujets aussi vulgaires. S’ils sont faux,
qu’on les rejette, mais que personne ne préjuge leur fausseté, simplement parce
qu’ils sont en dehors du sentier battu.
La puissance d’un Etat et le bonheur de ses sujets,
quelque indépendants qu’on puisse les supposer à certains égards, sont
considérés ordinairement comme inséparables quand on parle du commerce ;
en effet, de même que les particuliers jouissent d’une sécurité plus grande,
dans la possession de leur commerce et de leurs richesses, en raison de la
puissance de l’Etat ; de même, l’Etat devient plus puissant en proportion
de l’opulence des particuliers et de l’extension de leur commerce.
Cette maxime est vraie en général ; cependant je ne
puis m’empêcher de penser qu’elle peut comporter des exceptions et que souvent nous
l’affirmons avec trop peu de réserve et dans de trop larges limites. Certaines
circonstances peuvent se produire, où le commerce, les richesses et le luxe des
individus, au lieu d’ajouter à la force de l’Etat, ne servent qu’à
l’amoindrissement de ses armées et à la diminution de son autorité sur les
nations environnantes. L’homme est un être très divers, et susceptible de
beaucoup d’opinions, de principes et de (5) règles de conduite différents. Ce
qui peut être vrai lorsqu’il se confine dans une façon de penser, se trouvera
faux s’il adopte des mœurs et des opinions tout opposées.
Dans tout Etat, on peut diviser la masse en laboureurs et en artisans. Les premiers sont occupés à la culture de la terre ;
les seconds fabriquent, avec les matières fournies par les premiers, toutes les
marchandises nécessaires ou agréables à la vie humaine. Dès que les hommes
abandonnent l’état sauvage, où ils vivent principalement des produits de la
chasse et de la pêche, ils aboutissent forcément à se diviser dans ces deux
classes, bien que les arts de l’agriculture occupent d’abord la portion la plus nombreuse de la société. Le temps et
l’expérience perfectionnent tellement ces arts, que la terre arrive à
entretenir facilement un nombre d’hommes beaucoup plus considérable que celui
des laboureurs immédiatement employés à la culture ou que celui des ouvriers
producteurs des objets fabriqués les plus nécessaires à ceux qui continuent à
être occupés de la terre.
Si cette main-d’œuvre en surcroît s’applique elle-même à
des professions plus choisies, qu’on désigne communément sous le nom de
professions de luxe, elle ajoute au
bonheur de l’Etat, en fournissant à beaucoup de citoyens l’occasion de se
procurer des jouissances qu’ils n’auraient pas connues autrement. Mais ne peut-on
pas imaginer un autre système pour l’emploi de ces (6) bras en surplus ?
Le souverain ne peut-il pas les revendiquer et les occuper dans les flottes et
dans les armées, pour accroître les possessions de l’Etat au dehors et répandre
sa renommée parmi les nations éloignées ? Il est certain que moins il y a
de désirs et de besoins chez les propriétaires fonciers et les laboureurs,
moins on y emploie de bras, et dès lors le surplus de production de la terre,
au lieu de faire vivre des commerçants et des artisans, peut entretenir des
flottes et des armées sur un pied beaucoup plus considérable que lorsqu’il faut
un grand nombre de professions pour pourvoir au luxe des individus. Il semble
donc qu’il existe une sorte d’opposition entre la puissance de l’Etat et le
bonheur des sujets. Un Etat n’est jamais plus puissant que lorsqu’il occupe à
son service tous les bras en surcroit.
Les aises et la commodité des particuliers exigent au contraire que ces bras
soient employés à leur service. L’Etat ne peut donc avoir satisfaction qu’aux
dépens des particuliers. De même que l’ambition du souverain doit entreprendre
sur le luxe des individus, de même le luxe des individus doit diminuer la force
et contenir l’ambition du souverain.
Ce raisonnement n’est pas purement chimérique ; il
est fondé sur l’histoire et sur l’expérience. La république de Sparte a été
certainement plus puissante que ne l’est aucun des Etats de nos jours avec le
même chiffre de population : cette supériorité est absolument due à
l’absence de (7) commerce et de luxe. Les Ilotes étaient des laboureurs, les
Spartiates des soldats ou des bourgeois. Il est évident que le travail des
Ilotes n’aurait pas pu faire vivre un aussi grand nombre de Spartiates, si
ceux-ci avaient mené une existence aisée et délicate et s’ils avaient donné de
l’occupation à une grande variété de commerces et de manufactures. On peut
observer la même politique à Rome. Et certes, dans toute l’histoire ancienne,
c’est un fait digne d’attention que les plus petites républiques ont mis sur
pied et ont entretenu des armées plus considérables que des Etats trois fois
plus peuplés n’en peuvent maintenir aujourd’hui. On calcule que, dans tous les
pays d’Europe, la proportion entre les soldats et la population n’excède pas un pour cent. Or, nous lisons que la ville de
Rome seule, avec son petit territoire, mettait sur pied et entretenait, dans
les premiers temps de la république, dix légions contre les Latins. Athènes,
dont toutes les possessions n’étaient pas plus étendues que le Yorkshire, envoya
une expédition contre la Sicile de près de quarante mille hommes. Denys
l’Ancien entretenait, dit-on, une armée permanente de cent mille fantassins et
de dix mille cavaliers, outre une flotte considérable de quatre cents
voiles ; cependant ses territoires se bornaient à la ville de Syracuse, à
environ un tiers de la Sicile, et à quelques ports de mer et garnisons sur les
côtes d’Italie et d’Illyrie. Il est vrai qu’en temps de guerre, les armées (8)
vivaient beaucoup de pillage ; mais l’ennemi ne pillait-il pas à son
tour ? Ce qui est une manière de lever une taxe, plus ruineuse qu’aucune
autre qu’on puisse imaginer. En résumé, on ne peut assigner d’autre raison
plausible à la supériorité, au point de vue de la puissance, des Etats plus
anciens sur les Etats modernes, que leur défaut de commerce et de luxe. Peu
d’artisans étaient entretenus par le travail des fermiers, et par conséquent
plus de soldats pouvaient vivre du sol. Tite-Live dit que, de son temps, Rome
aurait eu de la difficulté à former une armée aussi nombreuse que celle qu’elle
fit marcher, à ses débuts, contre les Gaulois et les Latins. Sous le règne
d’Auguste, les musiciens, les peintres, les cuisiniers, les acteurs et les
tailleurs remplaçaient les soldats qui avaient combattu pour la liberté et pour
l’empire au temps de Camille : mais si la terre était cultivée également
aux deux époques, elle pouvait certainement faire vivre le même nombre d’hommes
dans ces professions que dans l’autre. Ils n’ajoutaient pas plus aux choses
simplement nécessaires à la vie, dans la dernière période que dans la première.
A ce propos, il est naturel de se demander si les
souverains ne pourraient pas revenir aux maximes de la politique ancienne, et
consulter à cet égard leur propre intérêt, plutôt que le bonheur de leurs
sujets ? Je réponds que cela me paraît à peu près impossible, par cette
raison que l’ancienne politique était violente et (9) contraire au cours des
choses le plus naturel et le plus habituel. On sait bien quelles lois
particulières gouvernaient Sparte ; on sait que cette république est
considérée avec raison comme un prodige par tous ceux qui ont étudié la nature
humaine telle qu’elle s’est manifestée en d’autres pays, et à d’autres époques.
Si le témoignage de l’histoire était moins positif, moins circonstancié, un
pareil gouvernement semblerait une pure fiction ou une fantaisie philosophique,
à jamais impossible dans la pratique. Quoique la république romaine et les
autres républiques anciennes aient été fondés sur des
principes un peu plus naturels, il fallait cependant un concours extraordinaire
de circonstances pour qu’elles pussent se soumettre à des charges aussi
pénibles. C’étaient des Etats libres, de territoire restreint, et l’époque
étant martiale, tous leurs voisins étaient continuellement sous les armes. La
liberté engendre naturellement l’ardeur publique, surtout dans les petits
Etats, et cet ardeur publique, cet amor patriae se développe forcément, lorsque l’Etat vit pour
ainsi dire dans une alarme constante et que les hommes sont obligés, à chaque
instant, de s’exposer aux plus grands périls pour la défendre. Une suite de
guerres ininterrompues fait de chaque citoyen un soldat ; il entre en
campagne à son tour, et pendant son service, il s’entretient surtout par
lui-même. Ce service équivaut sans doute à une taxe lourde, mais (10) c’est une
taxe qui se fait moins sentir à un peuple adonné aux armes, qui se bat pour
l’honneur et la vengeance plus que pour la solde, et ne connaît pas plus le
plaisir que le gain et l’industrie. Sans parler de la grande égalité des
fortunes qui régnait chez les habitants des anciennes républiques, où chaque
champ appartenant à un propriétaire différent pouvait nourrir une famille et
rendait le nombre des citoyens très considérable, même sans commerce ni
manufactures.
Pourtant, bien que l’absence de commerce et de
manufactures chez un peuple libre et très martial puisse quelquefois n’avoir
pas d’autre effet que de rendre l’Etat plus puissant, il est certain que, dans
le cours ordinaire des affaires humaines, il s’ensuivrait une tendance tout
opposée. Les souverains doivent prendre les hommes comme ils les
trouvent ; ils ne peuvent prétendre introduire des changements violents
dans leurs principes et leurs façons de penser. Il faut une longue période de temps,
et des circonstances et des accidents divers, pour produire ces grandes
révolutions qui modifient si complètement la face des affaires humaines. De
plus, moins l’ensemble des principes sur lesquels s’appuie une société
particulière est naturel, plus le législateur rencontrera de difficulté à
l’élever et à la cultiver. Sa meilleure politique consiste à se plier à la
tendance ordinaire des hommes et à leur procurer toutes les améliorations (11)
dont ils sont susceptibles. Donc, d’après le cours le plus naturel des choses,
l’industrie les arts et le commerce accroissent la puissance du souverain aussi
bien que le bonheur des sujets, et c’est une politique violente que celle qui
agrandit l’Etat en appauvrissant les individus. Quelques considérations nouvelles,
en mettant en lumière les conséquences de la paresse et de la barbarie, le
démontreront facilement.
Dans un pays où l’on ne cultive pas les arts mécaniques,
où il n’y a pas de manufactures, la masse du peuple doit s’appliquer elle-même
à l’agriculture, et si son habileté et son activité augmentent, il doit
résulter de son travail un superflu important, au-delà de ce qui suffit à
l’entretenir. Mais les hommes ne sont pas tentés d’accroître leur activité et
leur habileté, car ils n’ont pas la possibilité d’échanger le superflu qui en
résulterait contre des objets qui pourraient servir à leur agrément ou
satisfaire leur vanité. Les habitude d’indolence l’emportent alors
naturellement ; la plus grande partie de la terre reste sans
culture ; et par suite du manque d’habileté et d’assiduïté
des fermiers, ce qui est cultivé ne rend pas son maximum de production. S’il
survient des nécessités publiques qui exigent l’emploi pour le service de
l’Etat d’un grand nombre d’individus, le travail du peuple ne fournit alors
aucun superflu, qui permette de les entretenir. Les laboureurs ne peuvent pas
augmenter tout d’un coup leur habileté et leur activité. Les (12) terres non
cultivées ne peuvent pas être amenées à l’état de culture avant quelques
années. Pendant ce temps, il faut que les armées ou fassent des conquêtes
violentes et imprévues, ou se débandent, faute de moyens de subsistance. Il n’y
a donc pas à attendre d’un tel peuple une attaque ou une défense dans les
règles : ses soldats sont aussi ignorants et malhabiles que ses fermiers
et ses artisans.
Toute chose au monde s’achète par le travail, et nos
désirs sont les seules causes du travail. Quand une nation abonde en
manufactures et en arts mécaniques, les propriétaires fonciers, aussi bien que
les fermiers, étudient l’agriculture comme une science, et redoublent
d’activité et de soins. Le superflu qui résulte de leur travail n’est pas
perdu ; on l’échange contre ces produits manufacturés que le luxe des
hommes fait alors convoiter ; de telle sorte que la terre fournit en
choses nécessaires à la vie une quantité de beaucoup supérieure à celle qui
suffit à ceux qui la cultivent. Aux époques de paix et de tranquillité, ce
superflu sert à entretenir les artisans et ceux qui perfectionnent les arts
libéraux. Mais il est facile à l’Etat de convertir nombre de ces artisans en
soldats et de les entretenir grâce à ce superflu qui provient du travail des
fermiers. Aussi constatons-nous que tel est le cas dans tous les gouvernements
civilisés. Lorsque le souverain lève une armée, quelle en est la
conséquence ? Il impose une taxe ; cette taxe oblige la population
entière à supprimer ce qui (13) est le moins nécessaire à sa subsistance. Ceux
qui travaillent pour la production des objets de seconde nécessité doivent ou
s’enrôler dans la troupe, ou se tourner vers l’agriculture, et forcer ainsi
quelques laboureurs à se faire soldats, faute de besogne. A considérer la
question d’une manière abstraite, les artisans augmentent la puissance de
l’Etat seulement parce qu’ils accumulent une somme de travail et d’une nature
telle que l’Etat peut le revendiquer pour lui, sans priver personne des objets
nécessaires à la vie. Par conséquent, plus il se déploie de travail en outre de
ce qui est simplement nécessaire à l’existence, plus l’Etat est puissant,
puisque les individus qui sont occupés à ce travail peuvent en être facilement
détournés pour le service public. Un Etat sans artisans peut renfermer le même
nombre de bras, mais le travail n’y est ni en même qualité, ni de même nature ;
dans ce cas tout le travail est consacré aux objets de première nécessité qui
ne comportent guère ou point de réduction.
Ainsi la grandeur du souverain et le bonheur public sont,
dans une large mesure, solidaires en ce qui concerne le commerce et les manufactures.
C’est une méthode violente et assez généralement impraticable, que d’obliger le
laboureur à se fatiguer pour obtenir de la terre plus que ce qui suffit à sa
famille et à lui-même. Donnez-lui des manufactures et des marchandises, de
lui-même il travaillera davantage. Alors il vous (14) sera facile de lui
prendre une part de son travail superflu et de l’employer au service de l’Etat,
sans lui donner son profit habituel. Etant accoutumé à l’activité, cela lui
paraîtra moins pénible que si vous le forciez tout à coup à une augmentation de
travail sans aucune compensation. Le cas est le même en ce qui touche les
autres membres de l’Etat. Plus est grand le capital de travail de toute nature,
plus grande est la quantité qu’on peut prélever sur la masse, sans y apporter
de changement sensible.
Un grenier public de blé, un entrepôt de tissus, un
magasin d’armes, voilà ce qui constitue des richesses et une force réelles dans
un Etat. Le commerce et l’industrie ne sont pas autre chose, en réalité, qu’un
capital de travail qui, en temps de paix et de tranquillité, sert au bien-être
et à la satisfaction des individus, mais qui, en cas d’exigences de l’Etat,
peut être employé en partie dans l’intérêt public. Si nous pouvions convertir
une ville en une espèce de camp fortifié et infuser dans chaque poitrine assez
d’esprit belliqueux, assez de passion pour le bien public, pour que chacun fût
prêt à souffrir les plus grandes rigueurs dans l’intérêt de l’Etat, cette
politique pourrait aujourd’hui, comme dans les temps anciens, constituer par
elle-même un stimulant suffisant pour créer l’activité industrielle et pour
fournir les ressources nécessaires à la communauté. Il serait alors avantageux
de bannir, comme dans les camps, le luxe et les délicatesses, (15) et, par
des retranchements sur la table et les équipages, de faire durer les vivres et
les fourrages plus longtemps que si l’armée était surchargée d’une nombreuse
suite inutile. Mais comme ces principes sont trop désintéressés et trop
difficiles à maintenir, il faut gouverner les hommes par d’autres mobiles et
les animer d’un esprit d’avarice et d’activité, de luxe et d’abondance. Dans ce
cas, le camp est encombré d’un cortège superflu, mais les provisions y affluent
dans une proportion plus considérable. L’harmonie dans l’ensemble est toujours
maintenue, et la tendance naturelle de l’esprit étant plus satisfaite, les
individus, aussi bien que l’Etat trouvent leur compte à l’observance de ces
maximes.
La même méthode de raisonnement nous permettra d’affirmer
l’avantage du commerce extérieur, en
ce qu’il augmente la puissance de l’Etat, aussi bien que les richesses et le
bonheur des sujets. Il accroît le capital de travail dans la nation, et le
souverain peut en appliquer la part qu’il juge nécessaire au service de l’Etat.
Par ses importations, le commerce extérieur fournit les matières premières de
nouveaux produits fabriqués, et par ses exportations, il crée du travail dans
la production de certaines marchandises qui ne pourraient pas être consommées à
l’intérieur. En résumé, un royaume qui importe et exporte beaucoup doit
posséder plus d’industries et de celles qui s’appliquent aux choses délicates
et de luxe, qu’un royaume qui se contente (16) de ses produits indigènes :
le premier est, par conséquent, plus puissant, et en même temps plus riche et
plus heureux que le second. Les individus recueillent le bienfait de ces
consommations, en tant qu’ils satisfont par elles leurs sens et leurs désirs.
Et l’Etat y gagne aussi, attendu que, par ce moyen, un plus grand capital de
travail est emmagasiné et peut être utilisé en cas de nécessité publique, cest-à-dire qu’on entretient un plus grand nombre d’hommes
laborieux, qui peuvent être détournés de leurs occupations et employés au
service de l’Etat, sans dépouiller qui que ce soit des objets nécessaires à la
vie ou même de ses principaux agréments.
Si nous consultons l’histoire, nous verrons que, dans la
plupart des nations, le commerce extérieur a précédé tout perfectionnement des
produits indigènes et donné naissance au luxe intérieur. On est plus tenté de
se servir des marchandises étrangères qui sont d’un usage immédiat et
entièrement nouvelles pour nous, que d’apporter à un article indigène des
améliorations qui sont toujours lentes et ne nous touchent pas par leur
nouveauté. Il y a aussi très grand profit à exporter ce qui est superflu chez
nous et n’a pas de valeur, dans les pays étrangers, dont le sol ou le climat
n’est pas favorable à ce genre de production. Les hommes se familiarisent ainsi
avec les plaisirs du luxe et les profits du commerce, et leur délicatesse, leur industrie, une fois éveillées, les conduisent à de (17) nouveaux
perfectionnements dans toutes les branches de commerce intérieur et extérieur.
Et c’est peut-être là le principal avantage du commerce avec les étrangers. Il
tire les hommes de leur indolence, et en apportant à la partie la plus opulente
et la plus joyeuse des objets de luxe auxquels elle n’avait jamais encore
songé, il fait naître en elle le désir d’un genre de vie plus brillant que
celui de leurs ancêtres. En même temps, les quelques marchands qui possèdent le
secret de cette importation et de cette exportation réalisent d’importants
bénéfices, et en devenant rivaux, par la fortune, de l’antique noblesse, ils
incitent d’autres hommes hardis à devenir leurs rivaux à eux-mêmes dans le
commerce. L’imitation répand bientôt
tous ces arts, pendant que les manufactures nationales cherchent à égaler
l’étranger dans ses améliorations et à pousser chaque produit indigène à la
plus haute perfection dont il est susceptible. Leurs aciers et leurs fers, dans
des mains aussi laborieuses, deviennent égaux à l’or et aux rubis des Indes.
Lorsque les affaires de la société sont amenées à cet
état, une nation peut perdre la plus grande partie de son commerce extérieur,
et continuer cependant d’être un peuple grand et puissant. Si les étrangers ne
prennent plus un de nos produits, nous devons cesser d’y employer notre
travail. Les mêmes mains se tourneront d’elles-mêmes vers quelque
perfectionnement dans d’autres articles dont on peut avoir besoin chez (18)
nous. Il doit toujours y avoir pour elles des matières à façonner, jusqu’au
jour où tous ceux qui possèdent dans l’Etat des richesses, peuvent jouir des
produits nationaux avec autant d’abondance et dans un état de perfection aussi
achevé qu’ils peuvent le désirer, ce qui peut ne jamais arriver. On représente
la Chine comme un des empires les plus florissants du monde, cependant elle a
très peu de commerce en dehors de son propre territoire.
On ne regardera pas, j’espère, comme une digression
superflue que j’observe ici que, si la multitude des arts mécaniques est
avantageuse, il est non moins avantageux que ce soit au plus grand nombre
possible d’individus que les productions de ces arts échoient en partage. Une
trop grande disproportion entre les citoyens affaiblit un Etat. Chaque individu
doit, si c’est possible, jouir des fruits de son travail par une possession
complète de toutes les choses nécessaires à la vie et de beaucoup de ses
agréments. Personne ne peut douter qu’une semblable égalité ne soit très
conforme à la nature humaine, et ne diminue beaucoup moins le bonheur du riche qu’elle n’ajoute à
celui du pauvre. Elle augmente aussi la puissance
de l’Etat, et fait payer avec plus de bonne humeur les taxes ou les
impositions extraordinaires. Lorsque les richesses sont accaparées par un petit
nombre, ce petit nombre doit contribuer très largement aux nécessités
publiques ; mais quand les richesses sont éparpillées dans (19) la
multitude, le fardeau paraît léger à chaque épaule et les taxes n’apportent pas
un changement très sensible dans le genre de vie de chacun.
Ajoutons que si les richesses sont en peu de mains, leurs
propriétaires jouiront forcément de toute l’influence et conspireront
volontiers pour faire peser toute la charge sur les pauvres, les opprimant
encore davantage, au détriment de toute activité productive.
C’est en cela que consiste la grande supériorité de
l’Angleterre sur les nations actuelles du monde, ou sur celles dont il est fait
mention dans les annales de l’histoire. Les Anglais éprouvent, il est vrai,
quelques désavantages dans le commerce extérieur à cause du prix élevé de leur
main-d’œuvre, qui est en partie l’effet des richesses de leurs artisans, aussi
bien que de l’abondance de la circulation. Mais comme le commerce extérieur
n’est pas la circonstance la plus importante, il ne faut pas la mettre en
concurrence avec le bonheur de tant de millions d’hommes. Et s’il n’y avait rien
d’autre pour leur faire chérir le gouvernement libre sous lequel ils vivent,
cette raison seule serait suffisante. La pauvreté du bas peuple est un effet
naturel, sinon infaillible, de la monarchie absolue ; je doute pourtant
qu’il soit toujours vrai, d’autre part, que la richesse soit une conséquence
infaillible de la liberté. Il faut que la liberté, pour produire cet effet,
soit aidée par certains événements (20) et par une certaine manière de penser.
Lord Bacon expliquant les grands avantages qu’ont obtenus les Anglais dans
leurs guerres contre la France, les attribue surtout à l’aisance et à
l’abondance supérieures du bas peuple chez les premiers, et cependant le
gouvernement des deux royaumes était à peu près semblable à cette époque. Quand
les cultivateurs et les artisans sont accoutumés à travailler à bas prix et à
ne garder pour eux qu’une faible part des fruits de leur travail, il leur est
difficile, même sous un gouvernement libre, d’améliorer leur condition ou de
s’entendre entre eux pour augmenter leur salaire. Toutefois, même lorsqu’ils
sont accoutumés à un mode de vie plus large, il est facile aux riches, dans un
gouvernement arbitraire, de se concerter contre eux et de rejeter tout le fardeau des taxes sur les épaules des
autres.
Cela peut paraître une étrange assertion, que la pauvreté
du bas peuple en France, en Italie et en Espagne, soit due, dans une certaine
mesure, aux richesses plus grandes du sol, à la bonté du climat et cependant
les raisons ne manquent pas pour justifier ce paradoxe. L’agriculture est un
art facile dans une terre et dans un sol aussi excellents que ceux des contrées
plus méridionales, où un homme peut, avec un couple de mauvais chevaux,
cultiver en une saison autant de terre qu’il lui en faut pour payer un fermage
assez considérable au propriétaire. Toute la science du fermier consiste à
laisser reposer son terrain pendant un (21) an ; dès que le sol est
épuisé, la chaleur du soleil seule et la température du climat l’enrichissent
et lui rendent sa fertilité. Ces pauvres paysans n’exigent donc que leur simple
subsistance pour rétribution de leur travail. Ils n’ont ni capital ni richesses
qui réclament davantage, et en même temps ils sont toujours dépendants de leur
propriétaire, qui ne leur consent pas de baux et ne craint pas de laisser
ruiner sa terre par des méthodes de culture mauvaises. En Angleterre la terre
est riche, mais grossière ; il faut la cultiver à grands frais, et elle
produit de maigres récoltes quand elle n’est pas traitée avec soin et par une
méthode qui n’assure de plein bénéfice qu’au bout de plusieurs années. Par
conséquent, le fermier, en Angleterre, doit posséder un capital considérable et
jouir d’un long bail, ce qui engendre des profits proportionnels. Les beaux
vignobles de Champagne et de Bourgogne, qui rapportent souvent au propriétaire
près de cinq livres par acre, sont cultivés par des paysans qui ont à peine de
pain ; la raison en est que ces paysans n’ont pas besoin d’autre capital
que leurs bras et des instruments de labourage, qu’ils peuvent acheter pour ving shillings. La situation des fermiers de ces contrées
est d’ordinaire meilleure ; mais les herbagers sont le plus à leur aise
parmi tous ceux qui cultivent la terre. La raison est toujours la même. Il faut
que les hommes aient des bénéfices proportionnels à leurs frais et risques.
Lorsqu’un nombre (22) aussi considérable de travailleurs pauvres que les
paysans et les fermiers sont dans une situation très inférieure, tout le reste
doit participer de leur pauvreté, que le gouvernement de la nation soit
monarchique ou républicain.
Nous pouvons faire une remarque semblable au point de vue
de l’histoire générale de l’humanité. Pour quelle raison aucun des peuples qui
vivent entre les tropiques n’a-t-il jamais pu jusqu’à présent atteindre à aucun
art, à aucune politesse, ni même arriver à une police dans le gouvernement, à
une discipline militaire, tandis que peu de nations sous les climats tempérés
sont entièrement privées de ces avantages ? Une des causes de ce phénomène
est sans doute la chaleur et l’égalité de la température dans la zone torride,
qui rendent le vêtement et la maison moins indispensables aux habitants et
suppriment ainsi, en partie, la nécessité, qui est le grand aiguillon de l’activité
et de l’invention. Curis acuens mortalia corda. Sans compter que moins un peuple
possède de marchandises ou de biens de toute espèce, moins il est exposé aux
querelles intestines, et moins la nécessité se fait sentir chez lui d’une
police organisée ou d’une autorité régulière pour le protéger et le défendre
contre ses ennemis extérieurs ou intérieurs.
_________
Of Commerce
THE greater part of mankind may be
divided into two classes; that of shallow thinkers, who fall short of
the truth; and that of abstruse thinkers, who go beyond it. The latter
class are by far the most rare; and I may add, by far the most useful and
valuable. They suggest hints, at least, and start difficulties, which they
want, perhaps, skill to pursue; but which may produce fine discoveries, when
handled by men who have a more just way of thinking. At worst, what they say is
uncommon; and if it should cost some pains to comprehend it, one has, however,
the pleasure of hearing something that is new. An author is little to be valued,
who tells us nothing but what we can learn from every coffee-house
conversation.
All people of shallow thought
are apt to decry even those of solid understanding, as abstruse
thinkers, and metaphysicians, and refiners; and never will allow any thing to be
just which is beyond their own weak conceptions. There are some cases, I own,
where an extraordinary refinement affords a strong presumption of falsehood,
and where no reasoning is to be trusted but what is natural and easy. When a
man deliberates concerning his conduct in any particular affair, and
forms schemes in politics, trade, œconomy, or any business in life, he never
ought to draw his arguments too fine, or connect too long a chain of
consequences together. Something is sure to happen, that will disconcert his
reasoning, and produce an event different from what he expected. But when we
reason upon general subjects, one may justly affirm, that our
speculations can scarcely ever be too fine, provided they be just; and that the
difference between a common man and a man of genius is chiefly seen in the
shallowness or depth of the principles upon which they proceed. General
reasonings seem intricate, merely because they are general; nor is it easy for
the bulk of mankind to distinguish, in a great number of particulars, that
common circumstance in which they all agree, or to extract it, pure and
unmixed, from the other superfluous circumstances. Every judgment or
conclusion, with them, is particular. They cannot enlarge their view to those
universal propositions, which comprehend under them an infinite number of
individuals, and include a whole science in a single theorem. Their eye is
confounded with such an extensive prospect; and the conclusions, derived from
it, even though clearly expressed, seem intricate and obscure. But however
intricate they may seem, it is certain, that general principles, if just and
sound, must always prevail in the general course of things, though they may
fail in particular cases; and it is the chief business of philosophers to
regard the general course of things. I may add, that it is also the chief
business of politicians; especially in the domestic government of the state,
where the public good, which is, or ought to be their object, depends on the
concurrence of a multitude of causes; not, as in foreign politics, on accidents
and chances, and the caprices of a few persons. This therefore makes the
difference between particular deliberations and general
reasonings, and renders subtilty and refinement much more suitable to the
latter than to the former.
I thought this introduction
necessary before the following discourses on commerce, money, interest,
balance of trade, &c. where, perhaps, there will occur some principles which
are uncommon, and which may seem too refined and subtile for such vulgar
subjects. If false, let them be rejected : but no one ought to entertain a
prejudice against them, merely because they are out of the common road.
The greatness of a state, and the
happiness of its subjects, how independent soever they may be supposed in some
respects, are commonly allowed to be inseparable with regard to commerce; and
as private men receive greater security, in the possession of their trade and
riches, from the power of the public, so the public becomes powerful in
proportion to the opulence and extensive commerce of private men. This maxim is
true in general; though I cannot forbear thinking, that it may possibly admit
of exceptions, and that we often establish it with too little reserve and
limitation. There may be some circumstances, where the commerce and riches and
luxury of individuals, instead of adding strength to the public, will serve
only to thin its armies, and diminish its authority among the neighbouring
nations. Man is a very variable being, and susceptible of many different
opinions, principles, and rules of conduct. What may be true, while he adheres
to one way of thinking, will be found false, when he has embraced an opposite
set of manners and opinions.
The bulk of every state may be
divided into husbandmen and manufacturers. The former are
employed in the culture of the land; the latter work up the materials furnished
by the former, into all the commodities which are necessary or ornamental to
human life. As soon as men quit their savage state, where they live chiefly by
hunting and fishing, they must fall into these two classes; though the arts of
agriculture employ at first the most numerous part of the society. Time
and experience improve so much these arts, that the land may easily maintain a
much greater number of men, than those who are immediately employed in its
culture, or who furnish the more necessary manufactures to such as are so
employed.
If these superfluous hands apply
themselves to the finer arts, which are commonly denominated the arts of luxury,
they add to the happiness of the state; since they afford to many the
opportunity of receiving enjoyments, with which they would otherwise have been
unacquainted. But may not another scheme be proposed for the employment of
these superfluous hands? May not the sovereign lay claim to them, and employ
them in fleets and armies, to encrease the dominions of the state abroad, and
spread its fame over distant nations? It is certain that the fewer desires and
wants are found in the proprietors and labourers of land, the fewer hands do
they employ; and consequently the superfluities of the land, instead of
maintaining tradesmen and manufacturers, may support fleets and armies to a
much greater extent, than where a great many arts are required to minister to
the luxury of particular persons. Here therefore seems to be a kind of
opposition between the greatness of the state and the happiness of the subject.
A state is never greater than when all its superfluous hands are employed in
the service of the public. The ease and convenience of private persons require,
that these hands should be employed in their service. The one can never be
satisfied, but at the expence of the other. As the ambition of the sovereign
must entrench on the luxury of individuals; so the luxury of individuals must
diminish the force, and check the ambition of the sovereign.
Nor is this reasoning merely chimerical;
but is founded on history and experience. The republic of SPARTA was certainly
more powerful than any state now in the world, consisting of an equal number of
people; and this was owing entirely to the want of commerce and luxury. The
HELOTES were the labourers: The SPARTANS were the soldiers or gentlemen. It is evident,
that the labour of the HELOTES could not have maintained so great a number of
SPARTANS, had these latter lived in ease and delicacy, and given employment to
a great variety of trades and manufactures. The like policy may be remarked in
ROME. And indeed, throughout all ancient history, it is observable, that the
smallest republics raised and maintained greater armies than states consisting
of triple the number of inhabitants, are able to support at present. It is
computed, that, in all EUROPEAN nations, the proportion between soldiers and
people does not exceed one to a hundred. But we read, that the city of ROME
alone, with its small territory, raised and maintained, in early times, ten
legions against the LATINS. ATHENS, the whole of whose dominions was not larger
than YORKSHIRE, sent to the expedition against SICILY near forty thousand men.
DIONYSIUS the elder, it is said, maintained a standing army of a hundred
thousand foot and ten thousand horse, besides a large fleet of four hundred
sail; though his territories extended no farther than the city of SYRACUSE,
about a third of the island of SICILY, and some sea-port towns and garrisons on
the coast of ITALY and ILLYRICUM. It is true, the ancient armies, in time of
war, subsisted much upon plunder : But did not the enemy plunder in their turn?
which was a more ruinous way of levying a tax, than any other that could be
devised. In short, no probable reason can be assigned for the great power of
the more ancient states above the modern, but their want of commerce and
luxury. Few artizans were maintained by the labour of the farmers, and
therefore more soldiers might live upon it. LIVY says, that ROME, in his time,
would find it difficult to raise as large an army as that which, in her early
days, she sent out against the GAULS and LATINS. Instead of those soldiers who
fought for liberty and empire in CAMILLUS'S time, there were, in AUGUSTUS'S
days, musicians, painters, cooks, players, and tailors; and if the land was
equally cultivated at both periods, it could certainly maintain equal numbers
in the one profession as in the other. They added nothing to the mere
necessaries of life, in the latter period more than in the former.
It is natural on this occasion to ask,
whether sovereigns may not return to the maxims of ancient policy, and consult
their own interest in this respect, more than the happiness of their subjects?
I answer, that it appears to me almost impossible; and that because ancient
policy was violent, and contrary to the more natural and usual course of
things. It is well known with what peculiar laws SPARTA was governed, and what
a prodigy that republic is justly esteemed by every one, who has considered
human nature as it has displayed itself in other nations, and other ages. Were
the testimony of history less positive and circumstantial, such a government
would appear a mere philosophical whim or fiction, and impossible ever to be
reduced to practice. And though the ROMAN and other ancient republics were
supported on principles somewhat more natural, yet was there an extraordinary
concurrence of circumstances to make them submit to such grievous burthens.
They were free states; they were small ones; and the age being martial, all
their neighbours were continually in arms. Freedom naturally begets public
spirit, especially in small states; and this public spirit, this amor
patriæ, must encrease, when the public is almost in continual alarm, and
men are obliged, every moment, to expose themselves to the greatest dangers for
its defence. A continual succession of wars makes every citizen a soldier : he
takes the field in his turn: And during his service he is chiefly maintained by
himself. This service is indeed equivalent to a heavy tax; yet is it less felt
by a people addicted to arms, who fight for honour and revenge more than pay,
and are unacquainted with gain and industry as well as pleasure. Not to mention
the great equality of fortunes among the inhabitants of the ancient republics,
where every field, belonging to a different proprietor, was able to maintain a
family, and rendered the numbers of citizens very considerable, even without
trade and manufactures.
But though the want of trade and
manufactures, among a free and very martial people, may sometimes have no other
effect than to render the public more powerful, it is certain, that, in the
common course of human affairs, it will have a quite contrary tendency.
Sovereigns must take mankind as they find them, and cannot pretend to introduce
any violent change in their principles and ways of thinking. A long course of
time, with a variety of accidents and circumstances, are requisite to produce
those great revolutions, which so much diversify the face of human affairs. And
the less natural any set of principles are, which support a particular society,
the more difficulty will a legislator meet with in raising and cultivating
them. It is his best policy to comply with the common bent of mankind, and give
it all the improvements of which it is susceptible. Now, according to the most
natural course of things, industry and arts and trade encrease the power of the
sovereign as well as the happiness of the subjects; and that policy is violent,
which aggrandizes the public by the poverty of individuals. This will easily
appear from a few considerations, which will present to us the consequences of
sloth and barbarity.
Where manufactures and mechanic arts
are not cultivated, the bulk of the people must apply themselves to
agriculture; and if their skill and industry encrease, there must arise a great
superfluity from their labour beyond what suffices to maintain them. They have
no temptation, therefore, to encrease their skill and industry; since they
cannot exchange that superfluity for any commodities, which may serve either to
their pleasure or vanity. A habit of indolence naturally prevails. The greater
part of the land lies uncultivated. What is cultivated, yields not its utmost
for want of skill and assiduity in the farmers. If at any time the public
exigencies require, that great numbers should be employed in the public
service, the labour of the people furnishes now no superfluities, by which
these numbers can be maintained. The labourers cannot encrease their skill and
industry on a sudden. Lands uncultivated cannot be brought into tillage for
some years. The armies, mean while, must either make sudden and violent
conquests, or disband for want of subsistence. A regular attack or defence,
therefore, is not to be expected from such a people, and their soldiers must be
as ignorant and unskilful as their farmers and manufacturers.
Every thing in the world is purchased by labour; and our passions are the only causes of labour. When a nation abounds in manufactures and mechanic arts, the proprietors of land, as well as the farmers, study agriculture as a science, and redouble their industry and attention. The superfluity, which arises from their labour, is not lost; but is exchanged with manufactures for those commodities, which men's luxury now makes them covet. By this means, land furnishes a great deal more of the necessaries of life, than what suffices for those who cultivate it. In times of peace and tranquillity, this superfluity goes to the maintenance of manufacturers, and the improvers of liberal arts. But it is easy for the public to convert many of these manufacturers into soldiers, and maintain them by that superfluity, which arises from the labour of the farmers. Accordingly we find, that this is the case in all civilized governments. When the sovereign raises an army, what is the consequence? He imposes a tax. This tax obliges all the people to retrench what is least necessary to their subsistence. Those, who labour in such commodities, must either enlist in the troops, or turn themselves to agriculture, and thereby oblige some labourers to enlist for want of business. And to consider the matter abstractedly, manufactures encrease the power of the state only as they store up so much labour, and that of a kind to which the public may lay claim, without depriving any one of the necessaries of life. The more labour, therefore, is employed beyond mere necessaries, the more powerful is any state; since the persons engaged in that labour may easily be converted to the public service. In a state without manufactures, there may be the same number of hands; but there is not the same quantity of labour, nor of the same kind. All the labour is there bestowed upon necessaries, which can admit of little or no abatement.
Thus the greatness of the sovereign
and the happiness of the state are, in a great measure, united with regard to
trade and manufactures. It is a violent method, and in most cases
impracticable, to oblige the labourer to toil, in order to raise from the land
more than what subsists himself and family. Furnish him with manufactures and
commodities, and he will do it of himself. Afterwards you will find it easy to
seize some part of his superfluous labour, and employ it in the public service,
without giving him his wonted return. Being accustomed to industry, he will
think this less grievous, than if, at once, you obliged him to an augmentation
of labour without any reward. The case is the same with regard to the other
members of the state. The greater is the stock of labour of all kinds, the greater
quantity may be taken from the heap, without making any sensible alteration in
it.
A public granary of corn, a
storehouse of cloth, a magazine of arms; all these must be allowed real riches
and strength in any state. Trade and industry are really nothing but a stock of
labour, which, in times of peace and tranquillity, is employed for the ease and
satisfaction of individuals; but in the exigencies of state, may, in part, be
turned to public advantage. Could we convert a city into a kind of fortified
camp, and infuse into each breast so martial a genius, and such a passion for
public good, as to make every one willing to undergo the greatest hardships for
the sake of the public; these affections might now, as in ancient times, prove
alone a sufficient spur to industry, and support the community. It would then
be advantageous, as in camps, to banish all arts and luxury; and, by
restrictions on equipage and tables, make the provisions and forage last longer
than if the army were loaded with a number of superfluous retainers. But as
these principles are too disinterested and too difficult to support, it is
requisite to govern men by other passions, and animate them with a spirit of
avarice and industry, art and luxury. The camp is, in this case, loaded with a
superfluous retinue; but the provisions flow in proportionably larger. The
harmony of the whole is still supported; and the natural bent of the mind being
more complied with, individuals, as well as the public, find their account in
the observance of those maxims.
The same method of reasoning will
let us see the advantage of foreign commerce, in augmenting the power of
the state, as well as the riches and happiness of the subject. It encreases the
stock of labour in the nation; and the sovereign may convert what share of it
he finds necessary to the service of the public. Foreign trade, by its imports,
furnishes materials for new manufactures; and, by its exports, it produces
labour in particular commodities, which could not be consumed at home. In short,
a kingdom, that has a large import and export, must abound more with industry,
and that employed upon delicacies and luxuries, than a kingdom which rests
contented with its native commodities. It is, therefore, more powerful, as well
as richer and happier. The individuals reap the benefit of these commodities,
so far as they gratify the senses and appetites. And the public is also a
gainer, while a greater stock of labour is, by this means, stored up against
any public exigency; that is, a greater number of laborious men are maintained,
who may be diverted to the public service, without robbing any one of the
necessaries, or even the chief conveniencies of life.
If we consult history, we shall find,
that, in most nations, foreign trade has preceded any refinement in home
manufactures, and given birth to domestic luxury. The temptation is stronger to
make use of foreign commodities, which are ready for use, and which are
entirely new to us, than to make improvements on any domestic commodity, which
always advance by slow degrees, and never affect us by their novelty. The
profit is also very great, in exporting what is superfluous at home, and what
bears no price, to foreign nations, whose soil or climate is not favourable to
that commodity. Thus men become acquainted with the pleasures of luxury
and the profits of commerce; and their delicacy and industry,
being once awakened, carry them on to farther improvements, in every branch of
domestic as well as foreign trade. And this perhaps is the chief advantage
which arises from a commerce with strangers. It rouses men from their
indolence; and, presenting the gayer and more opulent part of the nation with
objects of luxury which they never before dreamed of, raises in them a desire
of a more splendid way of life than what their ancestors enjoyed. And at the
same time, the few merchants, who possess the secret of this importation and
exportation, make great profits; and becoming rivals in wealth to the ancient
nobility, tempt other adventurers to become their rivals in commerce. Imitation
soon diffuses all those arts; while domestic manufactures emulate the foreign
in their improvements, and work up every home commodity to the utmost
perfection of which it is susceptible. Their own steel and iron, in such
laborious hands, become equal to the gold and rubies of the INDIES.
When the affairs of the society are
once brought to this situation, a nation may lose most of its foreign trade,
and yet continue a great and powerful people. If strangers will not take any
particular commodity of ours, we must cease to labour in it. The same hands
will turn themselves towards some refinement in other commodities, which may be
wanted at home. And there must always be materials for them to work upon; till
every person in the state, who possesses riches, enjoys as great plenty of home
commodities, and those in as great perfection, as he desires; which can never
possibly happen. CHINA is represented as one of the most flourishing empires in
the world; though it has very little commerce beyond its own territories.
It will not, I hope, be considered
as a superfluous digression, if I here observe, that, as the multitude of
mechanical arts is advantageous, so is the great number of persons to whose
share the productions of these arts fall. A too great disproportion among the
citizens weakens any state. Every person, if possible, ought to enjoy the
fruits of his labour, in a full possession of all the necessaries, and many of
the conveniencies of life. No one can doubt, but such an equality is most
suitable to human nature, and diminishes much less from the happiness of
the rich than it adds to that of the poor. It also augments the power of the
state, and makes any extraordinary taxes or impositions be paid with more
chearfulness. Where the riches are engrossed by a few, these must contribute
very largely to the supplying of the public necessities; but when the riches
are dispersed among multitudes, the burthen feels light on every shoulder, and
the taxes make not a very sensible difference on any one's way of living.
Add to this, that,
where the riches are in few hands, these must enjoy all the power, and will
readily conspire to lay the whole burthen on the poor, and oppress them still
farther, to the discouragement of all industry.
In this circumstance consists the
great advantage of ENGLAND above any nation at present in the world, or that
appears in the records of any story. It is true, the ENGLISH feel some
disadvantages in foreign trade by the high price of labour, which is in part
the effect of the riches of their artisans, as well as of the plenty of money.
But as foreign trade is not the most material circumstance, it is not to be put
in competition with the happiness of so many millions; and if there were no
more to endear to them that free government under which they live, this alone
were sufficient. The poverty of the common people is a natural, if not an
infallible effect of absolute monarchy; though I doubt, whether it be always
true, on the other hand, that their riches are an infallible result of liberty.
Liberty must be attended with particular accidents, and a certain turn of
thinking, in order to produce that effect. Lord BACON, accounting for the great
advantages obtained by the ENGLISH in their wars with FRANCE, ascribes them
chiefly to the superior ease and plenty of the common people amongst the
former; yet the government of the two kingdoms was, at that time, pretty much
alike. Where the labourers and artisans are accustomed to work for low wages,
and to retain but a small part of the fruits of their labour, it is difficult
for them, even in a free government, to better their condition, or conspire
among themselves to heighten their wages. But even where they are accustomed to
a more plentiful way of life, it is easy for the rich, in an arbitrary
government, to conspire against them, and throw the whole burden of the
taxes on their shoulders.
It may seem an odd position, that
the poverty of the common people in FRANCE, ITALY, and SPAIN, is, in some
measure, owing to the superior riches of the soil and happiness of the climate;
yet there want not reasons to justify this paradox. In such a fine mould or
soil as that of those more southern regions, agriculture is an easy art; and
one man, with a couple of sorry horses, will be able, in a season, to cultivate
as much land as will pay a pretty considerable rent to the proprietor. All the art,
which the farmer knows, is to leave his ground fallow for a year, as soon as it
is exhausted; and the warmth of the sun alone and temperature of the climate
enrich it, and restore its fertility. Such poor peasants, therefore, require
only a simple maintenance for their labour. They have no stock or riches, which
claim more; and at the same time, they are for ever dependant on their
landlord, who gives no leases, nor fears that his land will be spoiled by the
ill methods of cultivation. In ENGLAND, the land is rich, but coarse; must be
cultivated at a great expence; and produces slender crops, when not carefully
managed, and by a method which gives not the full profit but in a course of
several years. A farmer, therefore, in ENGLAND must have a considerable stock,
and a long lease; which beget proportional profits. The fine vineyards of
CHAMPAGNE and BURGUNDY, that often yield to the landlord above five pounds per
acre, are cultivated by peasants, who have scarcely bread : the reason is, that
such peasants need no stock but their own limbs, with instruments of husbandry,
which they can buy for twenty shillings. The farmers are commonly in some
better circumstances in those countries. But the grasiers are most at their
ease of all those who cultivate the land. The reason is still the same. Men
must have profits proportionable to their expence and hazard. Where so
considerable a number of the labouring poor as the peasants and farmers are in
very low circumstances, all the rest must partake of their poverty, whether the
government of that nation be monarchical or republican.
We may form a similar remark with
regard to the general history of mankind. What is the reason, why no people,
living between the tropics, could ever yet attain to any art or civility, or
reach even any police in their government, and any military discipline; while
few nations in the temperate climates have been altogether deprived of these
advantages? It is probable that one cause of this phænomenon is the warmth and
equality of weather in the torrid zone, which render clothes and houses less
requisite for the inhabitants, and thereby remove, in part, that necessity,
which is the great spur to industry and invention. Curis acuens mortalia
corda. Not to mention, that the fewer goods or possessions of this kind any
people enjoy, the fewer quarrels are likely to arise amongst them, and the less
necessity will there be for a settled police or regular authority to protect
and defend them from foreign enemies, or from each other.