HOBBES :
LEVIATHAN – Traduction de Philippe Folliot avec notes.
Chapitre 13 - Chapitre 15 - Sommaire
des chapitres traduits avec notes - Index Philotra
Chapitre 14 : De la
première et de la seconde lois naturelles, et des contrats
Le
DROIT DE NATURE [1], que les auteurs nomment couramment jus naturale, est la liberté que chaque
homme a d'user de son propre pouvoir pour la préservation de sa propre nature,
c'est-à-dire de sa propre vie; et, par conséquent, de faire tout ce qu'il
concevra, selon son jugement et sa raison propres, être le meilleur moyen pour
cela [2]. [3]
Par
LIBERTÉ [4], j'entends, selon la signification propre du mot,
l'absence d'obstacles extérieurs [5], lesquels obstacles peuvent souvent enlever une part
du pouvoir d'un homme pour faire ce qu'il voudrait, mais ne peuvent pas
l'empêcher d'user du pouvoir restant, selon ce que son jugement et sa raison
lui dicteront.
Une
LOI DE NATURE [6] (lex naturalis)
est un précepte, une règle générale, découverte par la raison, par laquelle il
est interdit à un homme de faire ce qui détruit sa vie, ou lui enlève les
moyens de la préserver, et d'omettre ce par quoi il pense qu'elle [7] peut être le mieux préservée. Car, quoique ceux qui
parlent de ce sujet aient l'habitude de confondre jus et lex, droit et loi, il faut cependant les distinguer, parce que le DROIT consiste
en la liberté de faire ou de s'abstenir [8], alors que la LOI détermine et contraint à l'un des
deux [9]. Si bien que la loi et le droit diffèrent autant que
l'obligation et la liberté qui, pour une seule et même chose, sont
incompatibles [10].
Et
parce que la condition de l'homme (comme il a été dit au chapitre précédent)
est d'être dans un état de guerre [11] de chacun contre chacun, situation où chacun est
gouverné par sa propre raison, et qu'il n'y a rien dont il ne puisse faire
usage dans ce qui peut l'aider à préserver sa vie contre ses ennemis, il
s'ensuit que, dans un tel état [12], tout homme a un droit sur toute chose, même sur le
corps d'un autre homme. Et c'est pourquoi, aussi longtemps que ce droit naturel
de tout homme sur toute chose perdure, aucun homme, si fort et si sage soit-il,
ne peut être assuré de vivre le temps que la nature alloue ordinairement aux
hommes [13]. Et par conséquent, c'est un précepte [14], une règle générale de la raison, que tout homme doit s'efforcer à la paix,
aussi longtemps qu'il a l'espoir de l'obtenir, et, que, quand il ne parvient
pas à l'obtenir, il peut rechercher et utiliser tous les secours et les
avantages de la guerre. La première partie [15] de cette règle contient la première et fondamentale
loi de nature, qui est de rechercher la
paix et de s'y conformer [16]. La seconde [contient] [17] le résumé du droit de nature, qui est : par tous les moyens, nous pouvons nous
défendre [18].
De
cette fondamentale loi de nature qui ordonne aux hommes de s'efforcer à la
paix, dérive la seconde loi : qu'un homme
consente, quand les autres consentent [19] aussi, à se
démettre [20] de ce droit
sur toutes choses, aussi longtemps qu'il le jugera nécessaire pour la paix et
sa propre défense; et qu'il se contente d'autant de liberté à l'égard des
autres hommes qu'il en accorderait aux hommes
à son propre égard. Car aussi
longtemps que chaque homme détient ce droit de faire tout ce qui lui plaît,
tous les hommes sont dans l'état de guerre. Mais si les autres hommes ne
veulent pas se démettre de leur droit aussi bien que lui, alors il n'y a aucune
raison pour quelqu'un de se dépouiller [21] du sien, car ce serait s'exposer à être une
proie [22], ce à quoi aucun homme n'est tenu, plutôt que de se
disposer à la paix. C'est cette loi de l’Évangile [23] : tout ce
que vous demandez aux autres de vous faire, faites-le leur [24], et c'est cette loi de tous les hommes : quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris. [25]
Se démettre du droit qu'on a sur quelque chose, c'est se dépouiller de la liberté d'empêcher un
autre de profiter de son propre droit sur la même chose. Car celui qui renonce
à son droit ou qui le transmet [26] ne donne pas à un autre homme un droit qu'il n'avait
pas avant, parce qu'il n'y a rien auquel tout homme n'ait pas droit par nature.
Il s'écarte seulement de son chemin pour qu'il puisse jouir de son propre droit
originaire [27] sans empêchement de sa part, mais pas sans
empêchement de la part des autres. De sorte que l'effet qui résulte pour l'un
quand l'autre se défait de son droit n'est que de réduire d'autant les
obstacles à l'usage [28] de son propre droit originaire.
On
se démet [29] d'un droit, soit en y renonçant simplement, soit en
le transmettant à un autre [30]. En y RENONÇANT simplement,
quand on ne se soucie pas [de savoir] à qui profite l'avantage de cela. En le
TRANSMETTANT, quand on destine cet avantage à une certaine personne ou à
certaines personnes. Et quand, de l'une des deux manières, un homme a abandonné
ou cédé [31] son droit, on dit alors qu'il est OBLIGÉ ou
TENU [32] de ne pas empêcher de bénéficier de ce droit ceux à
qui ce droit est cédé, ou abandonné; qu'il doit
et que c'est un DEVOIR, de ne pas rendre nul cet acte fait volontairement et de
sa propre initiative [33]; et qu'un tel empêchement est une INJUSTICE et un
TORT [34], étant sine
jure [35], puisqu'il a précédemment renoncé au droit ou qu'il
l'a transmis. De sorte que le tort,
l'injustice, dans les controverses du
monde, est quelque chose comme ce qu'on appelle absurdité, dans les disputes d'écoles. Car comme, dans ce cas, on
appelle absurdité le fait de contredire ce qu'on soutenait au début, de même on
appelle dans le monde injustice et tort le fait de défaire volontairement ce
qu'au début on avait fait volontairement. La façon par laquelle un homme
renonce simplement à son droit, ou le transmet, est une déclaration ou une
façon de signifier, par un ou des signes volontaires et suffisants, qu'il
renonce à son droit ou le transmet, ou, de même, qu'il a renoncé à ce droit ou
l'a transmis à celui qui l'a accepté [36]. Et ces signes sont ou seulement des paroles, ou
seulement des actions, ou, comme il arrive le plus souvent, les deux à la fois.
Et ce sont les LIENS [37] par lesquels les hommes sont tenus et obligés, liens
qui tiennent leur force, non de leur propre nature (car rien n'est plus facile
à rompre que la parole d'un homme), mais de la crainte de quelque conséquence
fâcheuse de la rupture.
Toutes
les fois qu'un homme transmet son droit, ou qu'il y renonce, c'est soit en
considération d'un droit qu'on lui transmet par réciprocité [38], soit pour quelque autre bien qu'il espère [obtenir]
par ce moyen. Car c'est un acte
volontaire, et l'objet des actes volontaires de tout homme est un bien pour lui-même. C'est pourquoi il
est inconcevable qu'un homme ait pu, par des paroles ou d'autres signes,
abandonner ou transmettre certains droits [39]. D'abord, un homme ne peut pas se démettre du droit
de résister à ceux qui l'attaquent par la force pour lui ôter la vie, parce
qu'il est inconcevable qu'il vise de cette façon quelque bien pour lui-même.
On peut dire la même chose pour les blessures, les fers, l'emprisonnement,
parce que, d'une part, il n'y a aucun avantage consécutif au fait d'endurer ces
choses, comme il y en a au fait de souffrir qu'un autre soit blessé ou
emprisonné, et d'autre part, parce qu'un homme, quand il voit des hommes agir
avec violence à son égard, ne peut pas dire s'ils projettent ou non sa mort.
Enfin, le motif, la fin pour lesquels un homme accepte ce renoncement au droit
et sa transmission n'est rien d'autre que la sécurité de sa personne [40], pour ce qui est de sa vie et des moyens de la
préserver telle qu'il ne s'en dégoûte pas [41]. Et c'est pourquoi, si un homme, par des paroles, ou
d'autres signes, semble se dépouiller de la fin que visaient ces signes, on ne
doit pas comprendre qu'il voulait dire cela, ou que c'était sa volonté, mais
qu'il était ignorant de la façon dont de telles paroles et de telles actions
seraient interprétées.
La
transmission mutuelle du droit est ce que les hommes appellent CONTRAT [42].
Il
y a une différence entre transférer un droit sur une chose, et transmettre ou
fournir [43], c'est-à-dire livrer [44] la chose elle-même. Car la chose peut être livrée en
même temps qu'on transfère le droit, comme quand on achète ou vend argent comptant,
ou qu'on échange des biens ou des terres, et elle peut être livrée quelque
temps après.
De
plus, l'un des contractants peut remplir sa part du contrat en livrant la
chose, et laisser l'autre remplir la sienne à un moment ultérieur déterminé, en
lui faisant confiance dans l'intervalle; et alors, le contrat qui porte sur
cette deuxième part est appelé PACTE ou CONVENTION [45]; ou bien les deux parties peuvent contracter
maintenant et s'acquitter plus tard. Dans ces cas, celui qui doit s'acquitter
dans un temps à venir, et à qui on fait confiance [46], est dit tenir
sa promesse, être fidèle à sa parole [47], et, s'il ne s'acquitte pas, dans le cas où c'est
volontaire, on dit qu'il viole sa parole.
Quand
la transmission du droit n'est pas mutuelle, mais que l'une des parties le transmet
dans l'espoir de gagner l'amitié ou les services de quelqu'un, ou de ses amis,
ou dans l'espoir de gagner une réputation de charité ou de grandeur d'âme, ou
pour délivrer son esprit des douleurs de la compassion, ou dans l'espoir d'une
récompense dans le ciel, il n'y a pas là contrat, mais DON, DON GRACIEUX [48], GRÂCE [49], lesquels mots signifient une seule et même chose.
Les
signes du contrat sont soit exprès
soit par inférence [50]. Sont expresses les paroles qu'on prononce en
comprenant ce qu'elles signifient, et ces paroles sont soit au présent, soit au passé, comme je donne, j'accorde, j'ai donné, j'ai accordé, je veux
que cela soit tien, soit au futur,
comme je donnerai, j'accorderai,
lesquelles paroles portant sur le futur sont appelées PROMESSE [51].
Les
signes par inférence sont tantôt la conséquence des paroles [52], tantôt la conséquence du silence, tantôt la
conséquence d'actions, tantôt la conséquence du fait qu'on s'abstient [de
faire] une action; et en général, un signe par inférence, dans n'importe quel
contrat, est tout ce qui démontre [53] de façon suffisante la volonté du contractant.
Des
paroles seules, si elles sont exprimées au futur, et contiennent une simple
promesse [54], sont des signes insuffisants d'un don gracieux et,
par conséquent, elles ne créent pas d'obligations. Car si elles sont exprimées
au futur, comme demain, je donnerai,
elles sont le signe que je n'ai pas encore donné, et, par conséquent, que mon
droit n'est pas transmis, mais demeure [en ma possession] [55] jusqu'à ce que je le transmette par quelque autre
acte. Mais si ces paroles sont exprimées au présent, ou au passé, comme j'ai donné, ou je donne pour que ce
soit livré demain, alors je me suis dépossédé aujourd'hui de mon droit de
demain [56]; et cela en vertu des paroles, quoiqu'il n'y ait pas
eu d'autre démonstration de ma volonté [57]. Car il y a une grande différence de signification
entre cette phrase volo hoc tuum esse
cras, and cras dabo, c'est-à-dire entre je
veux que ceci soit tien demain et je
te le donnerai demain; car la dénomination I will [58], dans le premier type de discours, signifie un acte
de la volonté au présent, alors que dans le second, elle signifie la promesse
d'un acte de la volonté dans le futur; et c'est pourquoi la première phrase,
exprimée au présent, transmet un futur droit, [alors que] la seconde, exprimée
au futur, ne transmet rien [59]. Mais s'il y a d'autres signes de la volonté, en
plus des paroles, de transmettre un droit, alors, quoique le don soit gracieux,
on peut cependant comprendre que le droit passe [à quelqu'un] par des mots
exprimés au futur [60]. Par exemple, si un homme propose un prix à celui qui arrivera le premier au terme d'une
course, le don est gracieux; et bien que les paroles soient exprimées au futur,
cependant le droit passe [au gagnant], car s'il ne voulait pas que ses paroles
soient ainsi comprises, il ne devait pas les laisser courir.
Dans
les contrats, le droit passe [à autrui], non seulement quand les paroles sont au
présent et au passé, mais aussi quand elles sont au futur, parce tout contrat
est un transfert mutuel [61], ou échange [62] de droits; et c'est pourquoi il faut comprendre que
celui qui n'a fait que promettre, parce qu'il a déjà reçu le bénéfice pour
lequel il promet, a l'intention de faire passer son droit [à autrui]; car s'il
n'avait pas approuvé que ses paroles soient ainsi comprises, l'autre n'aurait
pas rempli sa part du contrat [63]. Et pour cette raison, quand on achète ou qu'on
vend, ou pour d'autres actes contractuels, une promesse équivaut à une
convention, et elle crée par conséquent une obligation.
Le
premier qui remplit sa part du contrat est dit MÉRITER ce qu'il doit recevoir
quand l'autre remplit sa part, et on dit qu'il l'a comme un dû [64]. De même, quand un prix est proposé à plusieurs, qui
doit être donné seulement à celui qui gagne, ou quand de l'argent est jeté
parmi plusieurs pour que ceux qui l'attrapent en aient la possession, quoique
ce soit un don gracieux, pourtant, gagner ainsi, ou attraper ainsi, c'est mériter, et avoir son DÛ. Car le droit
est transmis quand on propose le prix, et quand on jette l'argent, quoiqu'on
n'ait pas décidé des bénéficiaires, cela dépendant de l'issue de la
compétition. Mais il y a entre ces deux sortes de mérite cette différence que,
dans un contrat, je mérite en vertu de mon propre pouvoir et du besoin de
[l'autre] contractant [65], tandis que dans le cas d'un don gracieux, je suis
habilité à mériter seulement par la bonté du donateur. Dans un contrat, je
mérite, par ce que me transmet [l'autre] contractant [66], qu'il se départisse [67] de son droit. Dans le cas d'un don, je ne mérite pas
que [68] le donateur se départisse de son droit, mais que,
quand il s'en est départi, ce droit m'appartienne plutôt qu'aux autres. Et je pense
que c'est là le sens de cette distinction des scolastiques entre meritum congrui et meritum condigni [69]. Car Dieu Tout-Puissant, ayant promis le paradis à
ces hommes, soumis à la séduction des désirs charnels [70], qui sauront traverser ce monde selon les préceptes
et les limites qu'il a prescrits, ils disent que ceux qui suivront ce chemin
mériteront le paradis ex congruo.
Mais parce qu'aucun homme ne peut revendiquer un droit au paradis par sa propre
droiture [71], ou par quelque autre puissance en lui-même, sinon
par la seule grâce gratuite [72] de Dieu, ils disent qu'aucun homme ne mérite le
paradis ex condigno. Je pense,
dis-je, que c'est le sens de cette distinction; mais parce que les disputeurs ne
s'accordent pas sur la signification de leurs propres termes techniques aussi
longtemps que cela sert leur position, je n'affirmerai rien sur le sens qu'ils
donnent à ces mots. Je dis seulement ceci : quand un don est fait sans
qu'on détermine le bénéficiaire, par exemple pour un prix pour lequel il faut
se battre, celui qui gagne le mérite, et peut le réclamer comme son dû [73].
Si
une convention est faite de telle façon qu'aucune des parties ne s'exécute tout
de suite, car chacune fait confiance à l'autre, dans l'état de nature (qui est
un état de guerre de tout homme contre homme), au [moindre] soupçon bien
fondé [74], cette convention est nulle. Mais si existe un
pouvoir commun institué au-dessus des deux parties, avec une force et un
droit [75] suffisants pour les contraindre à s'exécuter, la
convention n'est pas nulle. Car celui qui s'exécute le premier n'a aucune
assurance que l'autre s'exécutera après, parce que les liens créés par les mots
sont trop faibles pour brider, chez les hommes, l'ambition, la cupidité, la
colère et les autres passions, sans la crainte de quelque pouvoir coercitif
qu'il n'est pas possible de supposer [76] dans l'état de simple nature, où tous les hommes
sont égaux, et juges du bien-fondé [77] de leurs propres craintes. C'est pourquoi celui qui
s'exécute le premier ne fait que se livrer [78] à son ennemi, contrairement au droit, qu'il ne peut
jamais abandonner, de défendre sa vie et ses moyens de vivre.
Mais
dans un état civil [79], où existe un pouvoir institué pour contraindre ceux
qui, autrement, violeraient leur parole, cette crainte n'est plus raisonnable;
et pour cette raison [80], celui qui, selon la convention, doit s'exécuter le
premier, est obligé de le faire.
La
cause de crainte, qui rend une telle convention invalide, doit toujours être
quelque chose qui se produit après que la convention a été faite, comme quelque
nouveau fait ou quelque autre signe de la volonté de ne pas s'exécuter [81]. Autrement, la convention demeure valide, car on ne
doit pas admettre que ce qui n'a pas pu empêcher un homme de promettre puisse
l'empêcher de s'exécuter.
Celui
qui transmet un droit transmet [82] les moyens d'en jouir, dans la mesure où c'est en
son pouvoir. Par exemple, celui qui vend un terrain est censé transmettre
l'herbe et tout ce qui y pousse; De même, celui qui vend un moulin ne peut pas
détourner le cours d'eau qui le fait fonctionner. Et ceux qui donnent un homme
le droit de gouverner comme souverain sont censés lui donner le droit de lever
des impôts pour entretenir des troupes et nommer des magistrats pour
l'administration de la justice.
Faire
des conventions avec des bêtes brutes est impossible parce que, ne comprenant
notre langage, elles ne comprennent et n'acceptent aucun transfert de droit, ni
ne peuvent transférer un droit à un autre; et [83] sans acceptation mutuelle, il n'y a pas de
convention.
Faire
une convention avec Dieu est impossible, sinon par l'intermédiaire de ceux à
qui Dieu parle, soit par révélation surnaturelle, soit par ses lieutenants qui
gouvernent sous lui et en son nom, car autrement, nous ne savons pas si nos
conventions sont acceptées ou non. Et c'est pourquoi ceux qui jurent quelque
chose de contraire à une loi de nature, jurent en vain, car c'est une chose
injuste de s'acquitter de ce qu'on a pu ainsi jurer [84]. Et si c'est une chose ordonnée par la loi de
nature, ce n'est pas le fait d'avoir juré, mais la loi, qui les lie [85].
La
matière, l'objet d'une convention est toujours quelque chose qui est
soumis [86] à la délibération, car s'engager par une convention
est un acte de la volonté, c'est-à-dire un acte [87], et le dernier acte d'une délibération; et il faut
donc entendre que c'est toujours quelque chose à venir, et que celui qui
s'engage par une convention juge possible de l'exécuter.
Et
par conséquent, la promesse de ce que l'on sait être impossible n'est pas une
convention. Mais si ce qui a d'abord été jugé possible s'avère après coup
impossible, le convention est valide et elle lie, non à fournir la chose
elle-même, mais à s'acquitter de sa valeur [88]; ou, dans la même impossibilité, à s'efforcer
sincèrement [89] de l'exécuter autant que c'est possible, car
personne ne peut être tenu à davantage [90].
Les
hommes sont libérés de leurs conventions de deux façons : soit en les
exécutant, soit par la remise de l'obligation [91]. Car l'exécution de la convention est la fin
naturelle de l'obligation, et la remise est la restitution de la liberté, en
tant qu'elle est une restitution [92] de ce droit en lequel l'obligation consistait.
Les
conventions par lesquelles on s'est engagé par crainte [93], dans l'état de nature, sont obligatoires. Par
exemple, si je m'engage par convention à payer une rançon à un ennemi, ou à
exécuter un service, cela pour sauver ma vie, je suis lié par cette
convention [94]. Car c'est un contrat, par lequel l'un reçoit le
bénéfice de la vie, et l'autre doit recevoir de l'argent, ou un service pour
cela, et par conséquent, là où aucune autre loi (comme dans l'état de simple
nature) n'en interdit l'exécution, la convention est valide. C'est pourquoi les
prisonniers de guerre à qui l'on fait confiance pour le paiement d'une rançon
sont obligés de la payer. Si un prince plus faible, par crainte, conclut une
paix désavantageuse avec un prince plus fort, il est lié [95] et doit la respecter, à moins que (comme on l'a dit
ci-dessus) n'apparaisse quelque nouvelle et juste raison de craindre qui lui fasse reprendre la guerre. Et même
dans les Républiques, si je suis forcé de me racheter [moi-même] [96] à un brigand en lui promettant de l'argent [97], je suis tenu de payer la somme, jusqu'à ce que la
loi civile [98] m'en décharge. Car quoique je puisse légitimement
faire sans y être obligé, je peux légitimement m'engager par convention à le
faire, sous le coup de la crainte; et je ne peux pas légitimement rompre une
convention par laquelle je me suis légitimement engagé.
Une
convention antérieure annule une convention ultérieure, car un homme qui a
transmis son droit à quelqu'un
aujourd'hui, ne l'a pas pour le transmettre demain à quelqu'un d'autre; et
c'est pourquoi la dernière promesse ne transmet aucun droit, et est nulle [99].
Une
convention par laquelle je m'engage à ne pas me défendre contre la force par la
force est toujours nulle. Car (comme je l'ai montré précédemment) personne ne
peut transmettre son droit de se protéger de la mort, des blessures et de
l'emprisonnement, ou s'en démettre, éviter cela étant la seule fin [visée]
quand on se démet d'un droit; et c'est pourquoi la promesse [100] de ne pas résister ne transmet aucun droit, dans
aucune convention, et elle ne constitue pas une obligation. Car, quoiqu'un
homme puisse s'engager ainsi par une convention : si je ne fais pas ceci ou cela, tue-moi; il ne peut pas s'engager
par une convention ainsi : si je ne
fais pas ceci ou cela, je ne te résisterai pas quand tu viendras me tuer;
car l'homme, par nature [101], choisit le moindre mal, qui est le risque de mourir
en résistant, plutôt que le plus grand mal, qui est de mourir tout de suite et
de façon certaine sans résister. Et c'est admis comme une vérité par tous les
hommes, puisqu'on conduit les criminels à l'exécution et en prison avec des
hommes armés, quoique ces criminels aient accepté la loi par laquelle ils sont
condamnés [102].
Une
convention par laquelle on s'engage à s'accuser [soi-même], sans être assuré d'être
pardonné, est de la même façon invalide. Car dans l'état de nature, où tout
homme est juge, il n'y a pas de place pour l'accusation; et dans l'état civil,
l'accusation est suivie d'une punition qui, comme il s'agit d'une force,
n'oblige pas [l'accusé] à ne pas résister. La chose est vraie aussi pour la
condamnation de ceux, père, femme, ou bienfaiteur, dont la condamnation ferait
sombrer quelqu'un dans la détresse [103]. Car le témoignage d'un tel accusateur, s'il n'est
pas fait de plein gré, est présumé corrompu par nature [104], et ne peut donc être accepté; et là où le
témoignage d'un homme ne doit pas être cru [105], cet homme n'est pas tenu de le donner. De même, les
accusations faites sous la torture ne sont pas considérés comme des
témoignages. Car la torture ne doit être utilisée que comme un moyen de
conjecture, et comme une lumière dans l'interrogatoire [106] ultérieur et la recherche de la vérité; et ce qui,
dans ce cas, est avoué tend à soulager celui qui est torturé, non à informer
les tortionnaires, et c'est pourquoi on ne doit pas accorder à un tel aveu le
crédit [107] d'un témoignage suffisant; car que celui qui est
torturé se délivre par une accusation vraie ou fausse, il ne le fait que par le
droit qu'il a de conserver sa propre vie.
La
force des mots étant (comme je l'ai précédemment noté) trop faible pour
contraindre [108] les hommes à exécuter leurs conventions, il n'y a,
dans la nature de l'homme, que deux remèdes [109] imaginables pour leur donner de la force. Ce sont,
soit une crainte de la conséquence du manquement à sa parole [110], soit la fierté, la l'orgueil de ne pas paraître
avoir besoin de ce manquement. Cette deuxième [passion] est une grandeur
d'âme [111] qu'on trouve trop rarement pour qu'on puisse la
présumer [chez les hommes], surtout [chez ceux] qui poursuivent la richesse,
l'autorité, ou le plaisir sensuel, qui forment la plus grande partie du genre
humain. La passion sur laquelle on doit compter est la crainte, qui a deux
objets très généraux : l'un, qui est le pouvoir des esprits invisibles, l'autre,
qui est le pouvoir de ces hommes qu'on offensera par le manquement à sa parole.
De ces deux objets, bien que le premier soit un pouvoir plus grand, pourtant la
crainte du dernier est couramment la crainte la plus forte. La crainte du
premier est en chaque homme sa religion propre, qui réside [112] dans la nature de l'homme avant la société civile,
ce qui n'est pas le cas pour la seconde, du moins pas assez pour contraindre
les hommes à tenir leurs promesses [113], parce que, dans l'état de simple nature, on ne discerne
pas l'inégalité de pouvoir, sinon à l'issue du combat. Si bien que, avant le
temps de la société civile, ou quand la guerre l'interrompt, il n'y a rien qui
puisse donner de la force à une convention de paix sur laquelle on s'est
accordé, contre les tentations de la cupidité, de l'ambition, de la
concupiscence, ou d'un autre ardent désir, sinon la crainte de cette puissance
invisible à laquelle tous rendent un culte sous le nom de Dieu, et que tous
craignent comme celui qui peut se venger de leur perfidie [114]. Par
conséquent, tout ce qu'on peut faire entre deux hommes qui ne sont pas
assujettis à un pouvoir civil est de les faire jurer l'un à l'autre par le Dieu
qu'ils craignent [115], lequel acte de jurer ou SERMENT [116] est une formule
du discours, ajoutée à la promesse, par laquelle celui qui promet déclare que
s'il ne s'exécute pas, il renonce à la miséricorde de son Dieu [117] ou en appelle
à sa vengeance sur lui-même. Telle était la formule païenne : que Jupiter me tue comme je tue cette bête [118]. De la même façon, notre formule [déclare] : je ferai comme ceci et comme cela, et que
Dieu me vienne en aide. Et cela accompagné des rites et des cérémonies dont
chacun se sert dans sa propre religion, pour que la crainte de manquer à sa parole [119] puisse être plus grande.
On
voit par là qu'un serment fait selon toute autre forme, ou rite, que celui de
la personne qui jure, est vain et n'est pas un serment, et qu'on ne jure pas
sur quelque chose que celui qui jure ne croit pas être Dieu. Car, quoique les
hommes aient parfois eu coutume de jurer par leurs rois, par crainte ou par
flatterie, cependant ils [ne] voulaient [que] faire entendre de cette façon
qu'ils leur attribuaient un honneur divin. Et on voit que jurer par Dieu sans
nécessité n'est que profaner son nom, et que jurer par d'autres choses, comme
les hommes le font en parlant couramment, ce n'est pas jurer, mais [suivre] une
habitude impie [120], fruit d'une trop grande véhémence de la parole.
On
voit aussi que le serment n'ajoute rien à l'obligation. Car une convention, si
elle est légitime [121], vous lie aux yeux de Dieu, qu'il y ait ou qu'il n'y
ait pas serment. Si elle est illégitime, elle ne vous lie pas du tout, même si
elle est confirmée par un serment.
Traduction Philippe Folliot
Version
téléchargée en août 2003.
[1] "the right of nature". (NdT)
[2] Les traductions
courantes emploient le mot fin ou le mot but, mais le texte anglais dit
simplement "to be the aptest means thereunto". (NdT)
[3] "THE right of
nature, which writers commonly call jus naturale, is the liberty each man hath
to use his own power as he will himself for the preservation of his own nature;
that is to say, of his own life; and consequently, of doing anything which, in
his own judgement and reason, he shall conceive to be the aptest means
thereunto." (NdT)
[4] "liberty".
(NdT)
[5] "the absence of
external impediments". (NdT)
[6] "a law of nature". (NdT
[7] Il s'agit ici de la
vie, non des hommes comme le pense F. Tricaud. (NdT)
[8] "or to forbear". (NdT)
[9] C'est-à-dire qu'il faut faire ou ne pas faire, selon ce que prescrit la loi. (NdT)
[10] "are inonsistent". (NdT)
[11] "Condition" et "état" correspondent ici au même mot anglais "condition". (NdT)
[12] "condition". (NdT)
[13] "of living out the time which nature ordinarily alloweth men to live". J'ai négligé le "to live". (NdT)
[14] F.Tricaud revient à la ligne. (NdT)
[15] Il faudrait
normalement, avec Hobbes, dire "la première branche "("the firts
branch"). (NdT)
[16] "to seek peace and follow it". Je pense que R. Anthony et F. Tricaud ont tort de traduire "rechercher la paix et la poursuivre" (Hobbes aurait écrit "to seek and follow peace"). "to follow" a certainement ici le sens de respecter, de suivre (comme on suit un ordre)( G. Mairet traduit "la maintenir"). L'idée hobbesienne est cohérente. Un désir soudain de paix, pour un avantage ponctuel, peut laisser place demain à une volonté de guerre. Pour cette raison, la seconde loi de nature est implicitement présente (par le verbe "to follow"), déjà, dans la première partie de la première et fondamentale loi naturelle. (NdT)
[17] Le
"récapitule" de F. Tricaud ne correspond à rien dans le texte de
Hobbes, mais peut peut-être s'expliquer par la présence de "the sum",
dans "the sum of the right of nature". (NdT)
[18] "by all means we can to defend ourselves." Le "nous-mêmes" de G. Mairet ne se justifie pas. "ourselves" est le simple pronom réfléchi "nous". Cette faute de traduction est malheureusement faite assez systématiquement par G. Mairet. (NdT)
[19] "be
willing" : être disposé ou être consentant. (NdT)
[20] "to lay down". R. Anthony "renoncent". F. Tricaud : "se dessaisir". G. Mairet : "abandonner". (NdT)
[21] Le
"renoncer" de G. Mairet, quoique correct, est moins fidèle à Hobbes.
Le verbe "to divert" peut certes signifier "renoncer", mais
il a avant tout le sens de se dévêtir. Ici "se dépouiller" est tout
indiqué. La version latine dit uniquement "se priver". (NdT)
[22] "to expose himself to prey". La traduction de G. Mairet est très fidèle ("s'exposer à être une proie"). Idem pour R. Anthony ("s'exposer comme une proie"). La traduction de F. Tricaud ("s'exposer à la violence") est plus faible. (NdT)
[23] Matthieu, VII, 12 : "Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes : c'est la Loi et les Prophètes."(T.O.B)
[24] "Whatsoever you require that others should do to you, that do ye to them". La King James version donne : "Therefore all things whatsoever ye would that men should do to you, do ye even so to them: for this is the law and the prophets." (NdT)
[25] "Ne faites pas
aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît". La vulgate, en Matthieu, VII, 12, donne ; "omnia
ergo quaecumque vultis ut faciant vobis homines et vos facite eis haec est enim
lex et prophetae". (NdT)
[26] "passeth away his
right". (NdT)
[27] "he may enjoy his own original right". R. Anthony : "droit originel". (NdT)
[28] Le "qui nuisaient" de F. Tricaud ne correspond à rien dans le texte de Hobbes. (NdT)
[29] Je choisis ce verbe
aussi bien pour traduire "to lay down" aussi bien que "to lay
aside". (NdT)
[30] "Right is laid
aside, either by simply renouncing it, or by transferring it to another".
(NdT)
[31] "abandoned or granted away". (NdT)
[32] "bound". Le "lier" de R. Anthony est bon. le "contraint" de G. Mairet est plus faible car il laisse échapper le sens premier du mot ("to bind" : lier, attacher) (NdT)
[33] "of his own". (NdT)
[34] G. Mairet : "préjudice". Le "injure" de R. Anthony est peu adapté, mais a le mérite de renvoyer à la racine latine, comme "injury". (Ndt)
[35] "sans droit". (NdT)
[36] Le "qui le reçoit" de F. Tricaud est insuffisant. (NdT)
[37] "les fers"
est une traduction possible. (NdT)
[38] "in consideration
of some right reciprocally transferred to himself". (NdT)
[39] J'ai modifié l'ordre de la phrase : "And therefore there be some rights which no man can be understood by any words, or other signs, to have abandoned or transferred." (NdT)
[40] F. Tricaud ajoute
"bailleur" là où le texte anglais dit simplement "man". (NdT)
[41] "so preserving life as not to be weary of it". "To be weary" : être las, fatigué, dégoûté. R. Anthony : "de façon à ne pas l'avoir à charge". F. Tricaud : " la conserver dans des conditions qui ne la rendent pas pénible à supporter". G. Mairet : "la préserver de telle sorte qu'elle ne lui soit pas insupportable". (NdT)
[42] "contract". (NdT)
[43] "tradition". Usage ancien du mot qui s'explique : "to trade" : négocier, faire le commerce, troquer, vendre, etc. "a trader" : un négociant, un commerçant, un marchand. "a tradesman" : un fournisseur. (NdT)
[44] "delivery" :
la livraison. (NdT)
[45] "pact, or
covenant". (NdT)
[46] "being trusted". (NdT)
[47] Hobbes utilise le mot "faith" (confiance, croyance, foi). Même chose à la fin de la phrase : "violation of faith". (NdT)
[48] Don gratuit. Certes le
don n'est pas désintéressé, mais du point de vue srictement juridique, il n'y a
pas réciprocité. (NdT)
[49] "gift, free gift,
grace". R. Anthony traduit "free gift"
par "libre don", F. Tricaud traduit "grace" par
"faveur". (NdT)
[50] "Signs of
contract are either express or by inference". Les
signes exprès sont des signes qui manifestent clairement l'intention du
contractant. Un engagement tacite (qui repose sur des signes "by
inference") ne se fait évidemment pas avec de tels signes. (NdT)
[51] "which words of the future are called promise". (NdT)
[52] Autrement dit, ce qu'on conclut de certaines paroles qui n'indiquent pas un engagement clair, qui ne sont pas des signes exprès. (NdT)
[53] "argues". (NdT)
[54] "bare
promise". "bare" signifie d'abord "nu, dénudé". Ici,
il est synonyme de "mere". (NdT)
[55] "but
remaineth". R. Anthony : "me
reste". (NdT)
[56] "hen is my
tomorrow's right given away today". R.
Anthony : "Mon droit de demain est déjà abandonné". (NdT)
[57] "argument of my
will". Je préfère "démonstration " à
"preuve". Il s'agit surtout de montrer à l'autre, d'indiquer (et le
verbe "to argue" a aussi le sens de prouver, démontrer).
"indice" et "attestation" sont des traductions possibles. (NdT)
[58] Les deux formules qui ont été utilisées par Hobbes sont 1) : "I will that this be thine tomorrow" et 2) : "I will give it thee tomorrow". Dans le premier cas, "I will" signifie "je veux", dans le deuxième, il s'agit de l'auxiliaire utlisé pour le futur ("I will give" : "je donnerai"). Il es impossible de traduire ici "I will", à moins d'éviter, comme G. Mairet, l'utilisation du futur simple de l'indicatif. (NdT)
[59] Le "du tout" de F. Tricaud ne correspond à rien dans le texte de Hobbes. (NdT)
[60] La phrase peut
paraître compliquée. Le sens est pourtant simple. Nous avons appris qu'une
formule utilisant le futur (par exemple je
te donnerai) ne transmet aucun droit. Pourtant, si cet emploi du futur est
accompagné d'un acte qui montre clairement l'intention d'un donateur, la phrase
au futur engage le donateur. Dans la suite du texte, cet acte est par exemple
l'organisation d'une course. Tout le propos hobbesien ne vise qu'une
question : comment puis-je être certain que l'autre, avec qui je contracte
(pour sortir de l'état de guerre et fonder une société politique), va tenir sa
promesse? Cette question est très clairement celle de l'efficacité des lois
naturelles, autrement dit celle de la conservation de sa vie (et de son
bien-être). (NdT)
[61] "mutual translation". (NdT)
[62] "change". (NdT)
[63] Exactement :
"sa première partie". (NdT)
[64] "and he hath it
as due". (NdT)
[65] "by virtue of my own power and the contractor's need". (NdT)
[66] Le sens de "at the contractor's hand" n'est pas évident. R. Anthony : "vis à vis du contractant". T. Tricaud : "ce que je reçois de mon contractant". G. Mairet : "du fait que le contractant". La solution est à rechercher du côté du verbe "to hand". Parmi ses sens, on trouve (avec préposition) : passer, remettre, transmettre. (NdT)
[67] "depart". Plus loin, "part" a le même sens. (NdT)
[68] Le "parce que" de G. Mairet ne se justifie pas. (NdT)
[69] Mérite de conformité et mérite de dignité. (NdT)
[70] Les traductions de F.
Tricaud ("aveuglés par les désirs charnels") et de G. Mairet
("égarés par les désirs charnels") font problème. R. Anthony avait
senti la difficulté en traduisant ensuite "n'en parviennent pas moins ...". En effet, comment
un homme aveuglé ou égaré peut-il se conduire selon les prescriptions divines.
Je pense que Hobbes fait ici une ellipse. Il veut dire (dans la perspective
scolastique) non pas que tous les hommes sont aveuglés effectivement, mais
qu'ils participent tous d'une nature telle qu'ils sont portés à l'être. A
certains égards, la présentation ainsi faite du mérite ex congruo porte paradoxalement déjà en elle la nécessité d'une grâce
divine, notre nature peccable nous empêchant de réaliser notre salut par nos
seules oeuvres . On reconnaît là un
problème théologique bien connu par les très vives polémiques qu'il a
engendrées. Voir le rapport Augustin-Pélage. Voir les rapports de Luther et de
l'Eglise semi-pélagienne. (NdT)
[71] "his own righteousness". Le "sa qualité d'avoir un droit" de R. Anthony n'est pas correct. (NdT)
[72] "free grace": c'est-à-dire essentiellement libre de toute considération du mérite humain. (NdT)
[73] On remarquera comment Hobbes revient assez sèchement au propos, indiquant par là que les subtilités théologiques ne sauraient nous permettre de fonder une théorie du contrat. (NdT)
[74] R. Anthony, F. Tricaud et G. Mairet évitent cette traduction tout à fait habituelle de "reasonable suspicion". Le mot "moindre" a été ajouté par moi. Hobbes dit : "upon any reasonable suspicion". On eût pu traduire le passage ainsi : "tout soupçon bien fondé rend cette convention nulle" ("upon any reasonable suspicion, it is void."). (NdT)
[75] J'ai inversé pour une raison d'euphonie. Hobbes écrit "with right and force". (NdT)
[76] La meilleure traduction est certainement celle de F. Tricaud (supposer avec vraisemblance) car l'utilisation du verbe "to suppose" exprime assez souvent l'idée de probabilité ou de vraisemblance. Par exemple, "I suppose he will come" : il est probable qu'il vienne, il est vraisemblable qu'il vienne. (NdT)
[77] Le "légitimité" de G. Mairet est peu heureux. (NdT)
[78] De nouveau, G. Mairet
ajoute un inutile "lui-même". (NdT)
[79] "in a civil
estate". (NdT)
[80] "for that
cause". (NdT)
[81] " some new fact or other sign of the will not to perform". (NdT)
[82] "aussi", est-on tenté décrire, ce que fait F. Tricaud. (NdT)
[83] "Or", serait-on
tenté de dire. Le texte de Hobbes dit simplement "and". (NdT)
[84] "And therefore
they that vow anything contrary to any law of nature, vow in vain, as being a
thing unjust to pay such vow". (NdT)
[85] "but the law that binds them". (NdT)
[86] R. Anthony a traduit "tombe sous le coup". F. Tricaud a repris cette traduction. Le "qui vient en délibération" de G. Mairet semble trop faible. (NdT)
[87] Que ce soit bien
entendu : la volonté elle-même est un acte. Hobbes
l'a déjà clairement expliqué au chapitre 6 du livre I : "In deliberation, the last appetite, or
aversion, immediately adhering to the action, or to the omission thereof, is
that we call the WILL; the act, not the faculty, of willing. And beasts that have deliberation must necessarily also
have will. The definition of the will, given commonly by the Schools,
that it is a rational appetite, is
not good. For if it were, then could there be no voluntary act against reason.
For a voluntary act is that which
proceedeth from the will, and no
other. But if instead of a rational appetite, we shall say an appetite
resulting from a precedent deliberation, then the definition is the same that I
have given here. Will, therefore, is the last appetite in deliberating."
(NdT)
[88] Le texte anglais est
plus elliptique : "though not to the thing itself, yet to the
value". (NdT)
[89] "to the unfeigned endeavour". (NdT)
[90] G. Mairet ose de façon heureuse : "car à l'impossible, nul n'est tenu". (NdT)
[91] Au sens où l'on parle
d'une remise de dette, ou de peine. L'autre partie (ou un pouvoir supérieur)
vous libère de votre obligation. (NdT)
[92] "a retransferring". Cette traduction est celle de R. Anthony. Il semblait bien difficile d'utiliser le mot "retransmission". (NdT)
[93] On notera l'erreur typographique de l'édition Gallimard. "par peur" a été oublié. (NdT)
[94] On sait ce qu'en
pensera Rousseau. (NdT)
[95] "he is bound". (NdT)
[96] Le latin dit "racheter ma vie". (NdT)
[97] On sait comment
Rousseau appliquera sa distinction du droit et de la force à cet exemple. (NdT)
[98] "the civil
law". (NdT)
[99] "is null". Le "nulle et non avenue" de F. Tricaud ne se justifierait que
si Hobbes avait écrit "null and void". (NdT)
[100] "promise".
(NdT)
[101] "by nature".
(NdT)
[102] "notwithstanding that such criminals have consented to the law by which they are condemned". (NdT)
[103] F. Tricaud revient ici
à la ligne. (NdT)
[104] "is presumed to be
corrupted by nature". Il s'agit ici de la
nature du témoignage. En l'absence d'une spontanéité de l'accusateur, vu les
relations qui unissent accusateur et accusé(s), on doit penser que le
témoignage est le fruit d'une malhonnêteté, d'une subornation, etc.. (NdT)
[105] "and where a man's testimony is not to be credited". (NdT)
[106] "examination". Terme ici juridique, qui signifie ou l'audition de témoins ou l'interrogatoire de l'accusé. (NdT)
[107] Bizarrement, R. Anthony
rapporte ce crédit à la torture. (NdT)
[108] "to hold". (NdT)
[109] Ou secours, aides,
auxiliaires : "helps". (NdT)
[110] "the consequence of breaking their word". (NdT)
[111] "generosity".
On peut traduire par générosité (ce que font R. Anthony et G. Mairet) mais le
lecteur doit avoir à l'esprit le sens que le mot pouvait avoir au XVIIème, et
qu'il avait déjà en latin et en grec. En latin, il s'agit (voir
"genero") d'une bonne naissance, d'une noblesse, et par extension de
la magnanimité, de la grandeur d'âme, de la générosité. On trouve déjà le même
sens chez les Grecs (voir "gennadas", "gennios",
"gennaiotes"). Au XVIIème, le mot renvoie au courage de l'âme, à la
grandeur spirituelle, à la constance de la volonté, sans que l'idée de noblesse
ait disparu (voir par ex. Descartes). (NdT)
[112] "which hath
place". (NdT)
[113] "to keep men to their promises". (NdT)
[114] Je pense que G. Mairet
a tort d'éviter ici la traduction littérale. Hobbes utilise le mot
"revenger" : vengeur. On notera que F. Tricaud pratique ici un
retour à la ligne. (NdT)
[115] "to put one
another to swear by the God he feareth". (NdT)
[116] "which swearing,
or oath". (NdT)
[117] "he renounceth the mercy of his God". (NdT)
[118] Le "sinon" de
F. Tricaud, qui se justifie pour la clarté du propos, ne correspond à rien dans
le texte hobbesien. (NdT)
[119] "the fear of
breaking faith". (NdT)
[120] " an impious custom". (NdT)
[121] "lawful". (NdT)