David Hume
Article anonyme de novembre
et décembre 1739
Sur le livre I du Traité de
la nature humaine
De David Hume
in
L’histoire des ouvrages des savants, année 1739 (magazine littéraire)
The history of the works of the
learned
For the year one thousand seven hundred and thirty-nine
1739 – Vol.II - London
Printed for Jacob Robinson, under the
Inner-Temple Gate in Fleet-Street
MDCCXXXIX
Traduction de
Philippe Folliot,
Professeur de
philosophie au Lycée Jehan Ango de Dieppe.
Introduction
Dans son autobiographie, Hume déclare : « Never literary attempt was more unfortunate than my Treatise of Human Nature. It fell dead-born from the press, without reaching such distinction, as even to excite a murmur among the zealots. » [1] Ce premier enfant de notre auteur n’est cependant pas passé inaperçu. Des comptes-rendus ont paru en France [2] et en Allemagne. En Angleterre, il n’y a eu que deux publications, celle que nous présentons, de novembre et décembre 1739, et une lettre envoyée à l’éditeur de Common sense: Or the Englishman’s Journal (5 juillet 1740), que nous n’avons pas pu consulter.
L’article est assez long, il fait
une cinquantaine de pages, ce qui est beaucoup pour le commentaire d’un livre fell dead-born from the press. L’auteur (qu’il s’agisse de Warburton
ou d’un autre, peu importe ici) cite beaucoup Hume, avec ou sans guillemets, et
le paraphrase plusieurs fois. A l’évidence, il ne comprend pas le sens réel du
propos humien, ce qui ne l’empêche pas de se montrer méprisant et caustique. Le
plus souvent, il se débarrasse des questions soulevées par Hume, sans même en
saisir la portée, par quelques formules assassines. Néanmoins, il finit par
reconnaître que l’auteur du traité, s’il a été victime de son manque de
maturité et d’exercice, est un génie en plein essor qui promet de grandes
œuvres.
Hume se sentit offensé [3] par cet article et il courut même le bruit qu’il était allé voir le critique et l’avait menacé de lui passer l’épée au travers du corps. [4] L’auteur de l’article l’eût mérité, non pour ne pas avoir aimé le livre mais pour ne pas l’avoir compris et en avoir donné un compte-rendu de très mauvaise qualité qui, sans expliquer l’insuccès de l’ouvrage, a pu en partie y contribuer.
Le lecteur qui voudrait comprendre Hume ne doit pas perdre son temps à lire cet article insignifiant. Sans respecter l’ordre chronologique, qu’il commence par les premières pages de l’Abrégé du Traité de la nature humaine ; qu’il en vienne ensuite à l’Enquête sur l’entendement humain ; et qu’il entreprenne enfin la lecture du fameux Traité. Il comprendra alors que le traducteur n’aurait jamais dû sortir cet article de son obscurité…
Novembre 1739
(353) Je ne me souviens pas avoir vu
un auteur de langue anglaise qui ait constitué un système de la nature humaine,
considérée d’un point de vue moral, sur le principe de cet auteur qui est celui
de la nécessité, qui s’oppose à la liberté. [5] La vérité de ce principe elle-même a été souvent l’objet
de débats, et avec grand soin. Certains ont même tenté de prouver l’impossibilité
de la liberté tandis que d’autres ont affirmé qu’elle était une propriété
essentielle de la nature humaine, la base de toute moralité, de toute religion
et de tout bonheur, [6] qui ne sauraient subsister si
l’on nie l’existence de la liberté. Pour éclaircir les idées, nous devrions
lire certaines lettres qui ont été échangées à ce sujet entre M. Locke
et M. Limborch et les réponses incomparables
du Dr Clarke à certains passages de Leibniz et de Collins.
Notre auteur a suffisamment (dit-il) expliqué le but de son ouvrage dans son introduction. Peut-être espère-t-il que nous comprenions ce but par les passages suivants [7] : « Il est évident que toutes les sciences, d'une façon plus ou moins importante, ont une relation à la nature humaine, et que, si loin que l'une d'entre elles peut sembler s'en écarter, elle y revient toujours d'une façon ou d'une autre. Même les mathématiques, même la philosophie naturelle et la religion naturelle dépendent (354) dans une certaine mesure de la science de l'homme, car elles tombent sous la connaissance des hommes et sont jugées par leurs pouvoirs et leurs facultés. Il est impossible de dire quels changements et quelles améliorations nous pourrions faire dans ces sciences si nous connaissions entièrement l'étendue et la force de l'entendement humain, et si nous étions capables d'expliquer la nature des idées que nous employons et des opérations que nous effectuons dans nos raisonnements. Et ces améliorations sont le plus à espérer dans la religion naturelle, car elle ne se contente pas de nous instruire de la nature des pouvoirs supérieurs, mais porte plus loin ses vues, pour nous instruire de leurs dispositions envers nous et de nos devoirs envers eux; et, en conséquence, nous ne sommes pas seulement nous-mêmes les êtres qui raisonnons, mais aussi l'un des objets sur lesquels nous raisonnons.
Si donc les sciences mathématiques, la philosophie naturelle et la religion naturelle ont une telle dépendance à l'égard de la connaissance de l'homme, que peut-on attendre des autres sciences dont la connexion avec la nature humaine est plus étroite et plus intime? La seule fin de la logique est d'expliquer les principes et les opérations de notre faculté de raisonner, et la nature de nos idées; la morale et l'esthétique considèrent nos goûts et nos sentiments, et la politique envisage les hommes comme réunis en société et comme dépendant les uns des autres. Dans ces quatre sciences, la logique, la morale, l'esthétique et la politique, est presque contenu tout ce qu'il peut, d'une façon ou d'une autre, nous importer de connaître. (…)
Voici donc le seul moyen dont nous puissions espérer le succès dans nos recherches philosophiques : abandonner la fastidieuse et lente méthode que nous avons suivie jusqu’ici, et au lieu de prendre çà et là un château ou un village à la frontière, marcher directement sur la capitale, le centre (355) de ces sciences, sur la nature humaine elle-même ; et une fois que nous en serons maîtres, nous pouvons espérer partout ailleurs une facile victoire. Il n’est pas de question importante dont la solution ne soit comprise dans la science de l’homme, et aucune ne peut être résolue avec tant soit peu de certitude avant que nous ne connaissions cette science. Par conséquent, en prétendant expliquer les principes de la nature humaine, nous proposons en fait un système complet des sciences bâti sur un fondement presque entièrement nouveau, le seul sur lequel elles puissent s’établir avec quelque sécurité.
De même que la science de l’homme est la seule fondation solide pour les autres sciences, de même la seule fondation solide que nous puissions donner à cette science elle-même doit reposer sur l’expérience et l’observation. (…) Car il me semble évident que l’essence de l’esprit nous étant aussi inconnue que celle des corps extérieurs, il est tout aussi impossible de se former quelque notion de ses pouvoirs et qualités autrement que par des expériences soigneuses et exactes, et par l’observation des effets particuliers qui résultent des différentes circonstances [où il se trouve]. (…)
La philosophie morale, il est vrai, a ce désavantage particulier, que l’on ne trouve pas dans la philosophie naturelle, qu’en recueillant ses expériences, elle ne peut pas les faire à dessein, avec préméditation, et de telle manière qu’elle se satisfasse sur toutes les difficultés particulières qui peuvent surgir. Quand je ne sais comment connaître les effets d’un corps sur un autre dans une situation quelconque, il suffit que je mette ces corps dans cette situation et que j’observe ce qui en résulte. Mais si je tentais de lever de la même manière un doute en philosophie morale, en me plaçant dans le même cas que celui que je considère, il est évident que cette réflexion et cette préméditation troubleraient tant l’opération (356) de mes principes naturels qu’elles rendraient nécessairement impossible la formation d’une conclusion valable à partir du phénomène. Nous devons donc glaner nos expériences, en cette science, par une prudente observation de la vie humaine, et les prendre comme elles apparaissent dans le cours habituel de la vie humaine, dans le comportement des hommes en société, dans les affaires, et dans leurs plaisirs. Quand des expériences de ce genre sont judicieusement rassemblées et comparées, nous pouvons espérer établir sur elles une science, qui ne sera pas inférieure en certitude, et qui sera de beaucoup supérieure en utilité à toute autre science susceptible d’être comprise par l’homme. »
Le lecteur a ici tout ce que je puis trouver dans l’introduction de son ouvrage sur son dessein mais je pense que le lecteur n’en aura pas le moins du monde l’idée. Dans quelle mesure un lecteur en sera-t-il instruit par l’introduction, c’est au lecteur lui-même d’en juger ? Je continue à exposer les différentes questions dont il traite. L’entendement est le sujet du premier livre ou volume. Il considère les passions dans le second livre ou volume. Le premier de ces livres est divisé en quatre parties. Dans la première, il nous présente la doctrine des idées, expliquant leur origine et décrivant leur composition, leur connexion et leur abstraction. Je ferai une rapide allusion à ce qu’il dit sur ces différents points.
Pour trouver l’origine de nos idées, il résout toutes les perceptions de l’esprit en deux genres qui peuvent être appelés impressions et idées [8]. (357) La différence entre ces deux genres consiste selon lui dans les degrés de force et de vivacité avec lesquels ces perceptions frappent la faculté de percevoir [9]. Les perceptions qui entrent avec le plus de violence, il les appelle des impressions et, sous ce terme, il comprend toutes nos sensations, passions et émotions, telles qu’elles font leur première apparition dans l’âme. Par idées, il entend les images affaiblies des impressions dans la pensée et le raisonnement. Il signale une autre division de nos perceptions qui s’étend à la fois à nos impressions et à nos idées, la division entre perceptions simples et perceptions complexes.
Ayant, par cette division, donné un ordre et un arrangement à ses objets (c’est-à-dire, je suppose, aux idées), nous pouvons maintenant, dit-il, considérer avec la plus grande précision leurs qualités et leurs relations. La première circonstance qui frappe ses yeux [10] [11] est la grande ressemblance entre nos impressions et nos idées sur toutes les particularités autres que leur degré de force et de vivacité. Quand il ferme les yeux et pense à sa chambre, les idées qu’il forme sont les représentations exactes (nous dit-il) des impressions qu’il avait. Je m’imagine que nombreux sont ceux qui ont fait la même observation. Quoi qu’il en soit, la circonstance semble remarquable à notre auteur et retient son attention pour un moment. [12]
Ayant terminé ses méditations sur ce point et ayant
découvert cette relation entre les impressions et les idées qui, dit-il,
n’exige pas d’autre examen, il est curieux de trouver quelques autres de leur qualités. Il en vient donc à considérer ce qu’il en est
de leur existence, et lesquelles, des impressions et des idées, sont causes, et
(358) lesquelles sont effets. L’examen complet de cette question, dit-il, est
le sujet du présent traité ; et il se contente d’établir cette unique
proposition générale : que toutes nos idées simples, à leur première
apparition, dérivent d’impressions simples, qui leur correspondent et qu’elles
représentent exactement. Quand il a établi cette affirmation au-delà de
toute contradiction, il réfléchit à ce qu’il a fait avec grande satisfaction et
dit : « C’est donc le premier principe que j’établis dans la science
de la nature humaine ; et nous ne devons pas le mépriser à cause de la
simplicité de son apparence, car il est à noter que la présente
question est la même que celle qui a tant fait de bruit sous d’autres
termes, quand on a débattu [pour savoir] s’il existe des idées innées,
ou si toutes les idées sont dérivées de la sensation et de la réflexion. Nous
pouvons observer que, pour prouver que les idées d’étendue et de couleur ne
sont pas innées, les philosophes se contentent de montrer qu’elles sont
transmises par nos sens. Pour prouver que les idées de passion et de désir ne
sont pas innées, ils notent que nous avons une expérience antérieure de ces
émotions en nous-mêmes. Or si nous examinons soigneusement ces arguments, nous
trouverons qu’ils ne prouvent rien, sinon que les idées sont précédées par
d’autres perceptions plus vives d’où elles dérivent et qu’elles
représentent. » Voyez quelle lumière extraordinaire notre auteur, par deux
ou trois arguments, jette sur ce point que M. Locke et d’autres philosophes
éminents n’eurent pas peu de peine à établir. « C’est pourquoi il espère
que cette claire position de la question éloignera toutes les discussions s’y
rapportant, et fera qu’on usera davantage de ce principe qu’on ne paraît
l’avoir fait jusqu’ici. »
(359) Et, maintenant qu’il a fait apparaître que nos
impressions sont antérieures aux idées qui leur correspondent, à l’exception de
quelques exemples, notre auteur dit que la méthode semble exiger que nous
examinions nos impressions avant de considérer nos idées. Mais, après nous
avoir informés que les impressions peuvent être divisées en deux genres, les
impressions de sensation et les impressions de réflexion et après
avoir illustré ces deux genres, il nous donne à entendre qu’il sera nécessaire
de renverser cette méthode, qui semble la plus naturelle à première vue, et,
pour expliquer la nature et les principes de l’esprit humain, de donner une
explication particulière des idées avant d’en venir aux impressions. [13]
En
suivant cette résolution, il continue, d’abord en décrivant et distinguant les
idées de la mémoire et les idées de l’imagination, deuxièmement, en expliquant
la connexion ou association des idées, troisièmement, en désignant les
différentes autres relations entre les idées, quatrièmement, en définissant et
fixant la véritable essence des modes et des substances, et cinquièmement, en
déterminant la nature des idées abstraites. Sur tous ces points, celui qui n’a
jamais eu le plaisir de lire l’incomparable essai de M. Locke lira notre auteur
avec beaucoup moins de dégoût que ceux qui sont habitués au raisonnement
irrésistible et à la merveilleuse perspicacité de cet admirable écrivain.
En négligeant les autres points, voyons [14] le discours de notre auteur sur les idées abstraites qui remplissent la septième section de la première partie de son ouvrage. Il commence : « Une question très importante a été soulevée concernant les idées abstraites ou générales : sont-elles générales ou particulières quand l’esprit les conçoit? » [15] Il nous dit alors (360) que le Dr Berkeley a remis en question l’opinion reçue sur ce point, et a affirmé que toutes les idées générales ne sont rien que des idées particulières jointes à un certain terme, qui leur donne une signification plus étendue, et qui leur fait rappeler à l’occasion d’autres idées particulières qui leur sont semblables. Cette affirmation, qui suffit à sa sagacité, il la regarde comme l’une des découvertes les plus importantes et les plus précieuses qui aient été faites ces dernières années dans la république des lettres ; et il tâche de la confirmer par certains arguments qui, à son idée, la placeront au-delà de tout doute et de toute controverse.
Il y a environ vingt ans, j’ai lu l’ouvrage du Dr Berkeley qui
contient cette découverte très précieuse et, si je me souviens bien, ce
gentilhomme se vantait des importants avantages qui résulteraient de cette
découverte pour la république des lettres. L’acquisition de la science devait
devenir extrêmement facile et plusieurs difficultés qui, d’ordinaire,
plongeaient dans la perplexité les mathématiciens et les métaphysiciens,
devaient s’évanouir devant elle. En somme, elle devait accomplir dans l’intérêt
de la connaissance ce qu’aucun autre principe n’était capable d’accomplir.
Mais, malgré tous les bienfaits qui devaient l’accompagner, je ne vois pas
qu’elle ait été reçue favorablement par les lettrés ou que nombreuses soient
les personnes capables et ayant de la pénétration à être devenues ses
disciples. Sa fortune peut peut-être désormais être plus prospère sous les
auspices de son nouveau protecteur qui, nous le voyons, entreprend de l’élever
au-dessus de toute opposition.
« Il
est évident, dit-il, qu’en formant la plupart de nos idées générales, si ce
n’est toutes, nous faisons abstraction de tout degré particulier de quantité et
de qualité, et qu’un objet ne cesse pas d’être d’une espèce particulière en
raison de toute petite altération de son étendue, de sa durée, ou de ses autres
propriétés. On peut donc penser qu’il (361) y a ici un dilemme manifeste,
décisif quant à la nature de ces idées abstraites, dilemme qui a fourni aux
philosophes tant de spéculations. L’idée abstraite d’homme représente des
hommes de toutes les tailles et de toutes les qualités, ce qu’elle ne peut
faire, estime-t-on, qu’en représentant en une fois toutes les tailles et les
qualités possibles ou en n’en représentant aucune en particulier. Or ayant
estimé absurde de défendre la première proposition, en tant qu’elle implique
une capacité infinie de l’esprit, on a couramment conclu en faveur de la
deuxième »
C’est
ici le dilemme qui nous plonge dans la perplexité sur ce sujet et dont les
capacités supérieures de notre auteur doivent nous délivrer. La dernière
inférence, il la détruit entièrement, et cela, il le fait, premièrement, en
prouvant qu’il est totalement impossible de concevoir quelque quantité ou
qualité sans former une notion précise de ses degrés ; et, deuxièmement,
en montrant que, quoique la capacité de l’esprit ne soit pas infinie, nous
pouvons cependant en une fois former une notion de tous les degrés possibles de
quantité et de qualité, d’une manière telle que, malgré son imperfection, elle
puisse du moins servir à toutes les fins de la réflexion et de la
conversation. [16]
Ainsi,
j’ai dit au lecteur ce que notre auteur a fait. Je ne peux lui montrer plus
complètement comment il l’a fait car je dois tout au plus noter les points
essentiels des arguments par lesquels il démontre les deux propositions
précédentes. La première qui affirme l’impossibilité de concevoir quelque
quantité ou qualité sans former une notion précise de ses degrés, il la prouve
par ces trois arguments. Premièrement, tous les objets qui sont différents sont
discernables et tous les objets qui sont discernables sont séparables par la pensée
et l’imagination, et vice versa. Deuxièmement, il est reconnu qu’aucun
objet ne peut apparaître aux sens, ou, en d’autres termes, qu’aucune impression
(362) ne peut devenir présente à l’esprit, sans être déterminé à la fois dans
ses degrés de quantité et ses degrés de qualité. [17] Affirmer autre chose, c’est dire qu’il est possible
pour une même chose d’être, et, en même temps, de ne pas être. Troisièmement,
c’est un principe généralement reçu en philosophie que tout, dans la nature,
est individuel, et qu’il est totalement absurde de supposer un triangle
existant réellement qui ait des côtés et des angles sans aucune dimension
précise. Si donc cela est absurde en fait et en réalité, ce doit être aussi
absurde en idée, puisque rien dont nous puissions former une idée claire et
distincte n’est absurde ni impossible. [18] Mais former l’idée d’un objet et former simplement
une idée, c’est la même chose, la référence de l’idée à un objet n’étant qu’une
dénomination extrinsèque, dont elle ne porte en elle-même aucune marque ni
aucun caractère. [19]
Quand
notre auteur, par ce qu’il dit sur ces points, nous a convaincus de sa première
proposition, il en vient à confirmer la seconde, relative à la capacité de
l’esprit de former en même temps une notion de tous les degrés possibles de
quantité et de qualité. Il nous dit que, quand nous avons trouvé une
ressemblance entre plusieurs objets, nous leur appliquons à tous le même nom, quelles que soient les différences
qui puissent apparaître entre eux. Une fois que nous avons acquis une coutume
de ce genre, l’audition de ce nom ranime l’idée de l’un de ces objets avec
toutes ses circonstances de proportions particulières. Mais comme le même mot a
été (363) fréquemment appliqué à d’autres choses individuelles, qui sont différentes
à bien des égards de l’idée qui est immédiatement présente à l’esprit, le mot,
n’étant pas capable de ranimer l’idée de toutes ces choses
individuelles, ranime cette coutume que nous avons acquise en les
examinant. « Ils ne sont pas réellement et effectivement présents à
l’esprit, mais ils sont seulement en puissance, et nous ne les figurons pas
tous distinctement dans l’imagination, mais nous nous tenons prêts à examiner
l’un d’eux comme peut nous le suggérer un dessein présent ou une nécessité présente.
Le mot éveille une idée individuelle, en même temps qu’une certaine
coutume ; et cette coutume produit toute autre idée dont nous pouvons
avoir besoin. Mais comme la production de toutes les idées auxquelles le nom
peut être appliqué est dans la plupart des cas impossible, nous abrégeons ce
travail par une considération plus partielle, et nous trouvons que peu
d’inconvénients résultent de cet abrègement dans notre raisonnement. »
Quand
il a dit cela, et beaucoup plus, pour expliquer ce point, il nous dit que la
seule difficulté qui puisse demeurer sur le sujet doit concerner cette coutume,
qui rappelle si promptement toute idée particulière dont nous pouvons avoir
besoin. La méthode qu’il choisit pour nous en donner une idée satisfaisante est
« de produire d’autres exemples qui lui soient analogues, et d’autres
principes qui en facilitent l’opération. » Dans ce but, il propose quatre
observations et il est évident qu’il en a une très bonne opinion car il
dit : « Peut-être ces quatre réflexions pourront-elles aider à
écarter toutes les difficultés de l’hypothèse que j’ai proposée sur les idées
abstraites, si contraire à celle qui a jusqu’alors prévalu en philosophie.
Mais, à dire vrai, je place surtout ma confiance dans ce que j’ai déjà prouvé
quant à l’impossibilité des idées générales selon la méthode ordinaire pour les
expliquer. Nous devons (364) certainement chercher quelque nouveau système sur
ce point, et, à l’évidence, il n’en existe aucun autre que celui que j’ai
proposé. »
Avant de quitter son sujet, il déduit des principes
précédents une explication de cette distinction de raison (comme il dit)
dont on parle tant dans les écoles et qui y est si peu comprise.
Voilà la première partie de son livre parcourue. Dans la seconde partie, nous trouvons les idées de l’auteur sur la divisibilité à l’infini et sur d’autres qualités de nos idées d’espace et de temps, [20] avec diverses objections qui peuvent être faites et leurs réponses. Il commence ce chapitre par un compliment indirect sur lui-même, après quoi il répète, à sa façon, un grand nombre de vieilles fantaisies relatives à cette question, fantaisies qu’on a souvent vues dans les écrits d’autres philosophes mineurs. Je peux faire goûter ces fantaisies au lecteur en en donnant deux ou trois, dans leur ordre. Il dit ainsi : « Il est certain que l’imagination [21] atteint un minimum et peut se faire une idée dont elle ne peut concevoir aucune subdivision, et qui ne peut être diminuée sans s’anéantir totalement.. Quand vous me parlez de la millième et de la dix millième partie d’un grain de sable, j’ai une idée distincte de ces nombres (365) et de leurs différentes proportions, mais les images que je forme dans mon esprit pour représenter les choses elles-mêmes ne sont aucunement différentes l’une de l’autre, et elles ne sont pas inférieures à l’image par laquelle je représente le grain de sable lui-même, qui est supposée les dépasser si largement. Ce qui est composé de parties peut se diviser en ces parties, et ce qui est divisible est séparable. [22] Mais, quoique nous puissions imaginer de la chose, l’idée d’un grain de sable n’est ni divisible, ni séparable en vingt, encore moins en mille, en dix mille, ou en un nombre infini d’idées différentes. »
Un ou deux paragraphes plus loin, notre auteur est encore
certain « que nous pouvons former des idées qui ne seront pas plus grandes
que le plus petit atome des esprits animaux d’un insecte mille fois plus petit
qu’une mite ; et [que] nous devons plutôt conclure que la difficulté se
trouve dans l’élargissement suffisant de nos conceptions pour former une juste
notion d’une mite, [23] ou même d’un insecte mille fois plus petit qu’une
mite. En effet, pour former une juste notion de ces animaux, nous devons avoir
une idée distincte qui représente chacune de leurs parties, ce qui, selon le
système de l’infinie divisibilité, est totalement impossible, et, selon le
système des parties indivisibles ou atomes, est extrêmement (366) difficile, en
raison du nombre immense et de la multiplicité de ces parties. » [24]
Quand notre auteur a répété les arguments qu’il a
ramassés contre la divisibilité de l’espace à l’infini, il nous dit ce que les
mathématiciens ont l’habitude de dire, qu’il y a des arguments aussi forts de
l’autre côté de la question et, alors, il ajoute : « Avant
d’examiner ces arguments et ces objections en détail, je les prendrai ici en
bloc et m’efforcerai, par un raisonnement bref et décisif, de prouver d’un coup
qu’il est totalement impossible qu’ils puissent avoir un juste
fondement. » Quelle méthode efficace inventée pour détruire ses
adversaires ! Il les prend en bloc et les tue ensuite l’un après l’autre.
Je ne dirai pas un mot du détail des exécutions mais je me contenterai de
donner au lecteur une vue de cet instrument terrible avec lequel il ôte la vie
à ses adversaires : « C’est une maxime établie en métaphysique,
dit-il, que tout ce que l’esprit conçoit clairement renferme l’idée
d’existence possible, ou en d’autres termes, que rien de ce que nous
imaginons n’est absolument impossible. Nous ne pouvons former aucune
idée d’une montagne sans vallée, et nous la regardons donc comme
impossible.
Or il est certain que nous avons une idée d’étendue, car,
autrement, pourquoi en parlons-nous et raisonnons-nous sur elle ? Il est
de même certain que cette idée, en tant que conçue par l’imagination, quoique
divisible en parties ou idées inférieures, n’est pas infiniment divisible, et
n’est pas composée d’un nombre infini de parties ; car cela est au-delà de
la compréhension de nos capacités limitées. Voici donc une idée d’étendue, qui
se compose de parties ou d’idées inférieures qui sont parfaitement
indivisibles. Par conséquent, cette idée n’implique aucune contradiction, et
par conséquent, il est impossible [25] que l’étendue existe conformément à cette idée ;
et, par conséquent, tous les arguments employés contre la possibilité des
points mathématiques sont de simples arguties scolastiques, indignes de notre
attention.
Nous pouvons aller plus loin dans ces conséquences, et
conclure que toutes les prétendues démonstrations de la divisibilité infinie de
l’étendue sont également sophistiques, puisqu’il est certain qu’elles ne
peuvent être justes sans prouver l’impossibilité des points mathématiques,
preuve à laquelle il est à l’évidence absurde de prétendre. »
Je suis persuadé qu’il n’existe pas
un lecteur assez solide pour résister à un tel argument et j’espère que
personne ne sera assez mal disposé pour refuser de se joindre à son auteur dans
un compliment qu’il s’adresse à lui-même au début même de la troisième section
qui vient juste après, où il considère les autres qualités de nos idées de
temps et d’espace. « Aucune
découverte, dit-il, n’aurait pu être faite avec plus de bonheur pour trancher
toutes les controverses sur les idées, que celle ci-dessus mentionnée, que
les impressions précèdent toujours les idées, et que toute idée dont est
pourvue l’imagination fait d’abord son apparition dans une impression
correspondante. » En appliquant cet heureux principe, il se met à
pénétrer encore plus loin dans la nature de nos idées d’espace et de temps.
Quels grands progrès il a fait dans cette science, on peut en juger en
remarquant, comme je le fais, le premier pas qu’il y a fait : « En
(368) ouvrant les yeux et en les tournant vers les objets environnants, je perçois
de nombreux corps visibles ; et en les fermant et considérant la distance
qui se trouve entre ces corps, j’acquiers l’idée d’étendue. » C’est en
vérité une nouvelle méthode pour acquérir cette science, méthode qui est
entièrement de l’invention de notre auteur. Mais nous verrons un peu plus bas
que cette action répétée de l’œil n’est pas toujours nécessaire à cette fin
mais que l’on peut avoir l’idée d’étendue sans fermer les paupières. En effet,
il continue ainsi, tout aussi sagement qu’au début.
« Comme
toute idée est dérivée d’une impression qui lui est exactement semblable, les
impressions semblables à l’idée d’étendue doivent être soit des sensations
dérivées de la vue, soit des impressions internes qui naissent de ces
sensations. Nos impressions internes sont nos passions, émotions, désirs et
aversions ; et je crois que personne n’affirmera jamais que l’une de ces
impressions soit le modèle à partir duquel l’idée d’espace est dérivée. Il ne
reste donc rien que les sens qui puissent nous transmettre cette impression
originelle. Or quelle impression nos sens nous transmettent-ils ici ?
C’est la question principale, qui décide sans appel de la nature de
l’idée. » Et maintenant vient sa réponse et, par la première phrase, nous
verrons que cet extraordinaire philosophe n’a pas toujours besoin d’ouvrir et
de fermer les yeux pour acquérir la simple idée d’étendue.
« La table
qui se trouve devant moi suffit seule, par le fait de la voir, à me donner
l’idée d’étendue. Cette idée est donc empruntée à quelque impression, et elle
la représente, impression qui, à ce moment, apparaît aux sens. Mais mes sens me
transmettent seulement les impressions de points colorés, disposés d’une
certaine manière. Si l’œil est sensible à quelque chose d’autre, je désire qu’on
me l’indique. (369) Mais s’il est impossible de montrer quelque chose d’autre,
nous pouvons conclure avec certitude que l’idée d’étendue n’est rien qu’une
copie de ces points colorés et de leur manière d’apparaître. »
Et voilà pour l’étendue
de l’espace. Non que notre auteur ait ici quitté cette question. Il va
encore plus loin pendant plusieurs pages, mêlant le temps à l’espace et les
considérant sous diverses lumières. Certaines sont trop brillantes pour ma
faible vue et je dois donc les éviter, disant seulement au lecteur dont les
yeux sont assez forts pour de telles lueurs où il peut les trouver. Et, outre
les conséquences de la troisième section, dans la première partie de laquelle
nous avons tiré les trois dernières citations, il y a une quatrième section où
l’on peut en trouver d’autres, sous le titre de réponses aux objections par
lesquelles les métaphysiciens et les mathématiciens ont conspiré pour détruire
la doctrine des atomes indivisibles de notre auteur. [26]
Quand il commence
à s’occuper des géomètres, il dit que, à première vue, cette science semble
favorable à sa thèse et que, si elle lui est contraire dans ses démonstrations,
elle s’y conforme parfaitement dans ses définitions. Sa présente tâche,
comme il le dit aussi, doit être de défendre les définitions et de réfuter les
démonstrations.
Je n’ai rien à
voir avec cette querelle. S’ils ne peuvent maintenir leurs démonstrations
contre ses attaques, ils peuvent même périr. [27]
Dans la cinquième
section, qui est également remplie d’objections et de réponses, il s’en prend
aux naturalistes qui soutiennent la réalité d’un vide absolu. La
dispute sur cette question incluant diverses spéculations subtiles, elle
intéresse aussi les métaphysiciens. La section précédente était accompagnée
d’un bref récapitulatif de son système concernant l’espace et le temps qui est
composé, comme il nous le dit, de (370) deux parties. La première repose sur
cette chaîne de raisonnement : la capacité de l’esprit n’est pas infinie,
et, par conséquent, il n’existe aucune idée d’étendue ou de durée composée d’un
nombre infini de parties ou d’idées inférieures, mais ces idées se composent
d’un nombre fini de parties ou d’idées inférieures, et elles sont simples et
indivisibles. [28] La seconde
partie est une conséquence de la première : les parties en lesquelles se
résolvent les idées d’espace et de temps deviennent à la fin indivisibles, et
ces parties indivisibles, n’étant rien en elles-mêmes, sont inconcevables quand
elles ne sont pas remplies de quelque chose de réel et d’existant. Les idées
d’espace et de temps ne sont donc pas des idées séparées et distinctes, elles
sont tout bonnement les idées de la manière, ou ordre, dans lequel des objets
existent ; ou, en d’autres termes, il est impossible de concevoir soit un vide
et une étendue sans matière, soit un temps sans succession ni changement en
aucune existence réelle. [29]
La première
moitié de son système, il l’a incontestablement prouvée dans les pages qui ont
précédé et j’ai fait un peu goûter à mes lecteurs sa démonstration. La seconde
partie est la base de la cinquième section, où il donne son opinion sur le vide
car, de là, il dit qu’il s’ensuit que « nous ne pouvons former aucune idée
d’un vide, ou d’un espace où il n’y ait rien de visible ou de tangible. »
Cela donne naissance à trois objections dont il dit de la façon la plus
intelligente qu’il les examinera ensemble parce que la réponse qu’il donnera
à l’une est une conséquence de celle qu’il utilisera pour les autres.
On pourrait, à
partir de ces réponses, recueillir de nombreux passages qui nous donneraient
une haute idée de la sagacité de l’auteur. Prenons-en seulement deux ou trois à
titre d’échantillons. Ainsi, il a découvert « qu’un homme qui jouit de la
vue ne reçoit pas d'autre perception, en tournant les yeux de tout côté quand
il est entièrement privé de lumière, que celle qui lui est (371) commune avec
un aveugle-né; et il est certain qu'un tel individu n'a aucune idée de lumière
ni d'obscurité. » Une page ou deux après, où il montre que le mouvement ne
présuppose pas un vide, il dit admirablement à cette fin : « supposez
qu'un homme soit soutenu en l'air et qu'il soit doucement transporté par
quelque pouvoir invisible. Il est évident qu'il ne se rend compte de rien, et
que jamais il ne reçoit, de ce mouvement invariable, l'idée d'étendue, ni, en
vérité, aucune idée. Même en supposant qu'il remue ses membres par un
va-et-vient, cela ne saurait lui transmettre cette idée. Il éprouve, dans ce
cas, une certaine sensation ou impression, dont les parties sont successives
les unes aux autres, et qui peuvent lui donner l'idée de temps; mais qui,
certainement, ne sont pas disposées d'une manière telle qu'il est nécessaire
pour lui communiquer l'idée d'espace ou d'étendue. » De plus, son argument
le conduit à rechercher si la vue peut communiquer l’impression ou l’idée d’un vide.
Pour déterminer qu’elle ne le peut pas, parmi d’autres considérations, il
utilise l’exemple de deux corps lumineux qui apparaissent à une certaine
distance l’un de l’autre, dans un champ (si je puis m’exprimer ainsi) d’une
obscurité absolue. Or comme la distance entre ces objets n’est pas quelque
chose de coloré ou de visible, on peut penser, dit-il,
qu'il y a ici un vide, ou étendue pure, non seulement intelligible à l'esprit,
mais [aussi] évident aux sens mêmes. [30] C'est,
avoue-t-il, notre façon naturelle de penser et la plus familière mais il montre
qu’elle est mauvaise. « puisque cette distance ne
cause aucune perception différente de celle qu'un aveugle reçoit de ses yeux,
ou de celle qui nous est transmise par la nuit la plus obscure, elle doit
partager les mêmes propriétés; et, comme la cécité et l'obscurité ne nous
offrent aucune idée d'étendue, il est impossible que la distance obscure et
indiscernable (372) entre deux corps puisse jamais produire cette idée. »
Son
sujet le conduit à observer, comme une maxime générale de la science de la
nature humaine, que, partout où il y a une relation étroite entre deux idées,
l'esprit est très porté, dans ses discours et raisonnements, à utiliser l'une
pour l'autre. Il entreprend de découvrir les causes de ce phénomène (comme il
l’appelle) et c’est pourquoi il remarque que, « comme l'esprit est doté du
pouvoir d'éveiller toute idée qu'il lui plaît, chaque fois qu'il envoie les
esprits dans cette région du cerveau où l'idée est placée, ces esprits
éveillent toujours l'idée lorsqu'ils se jettent précisément dans les traces
appropriées et fouillent cette cellule qui appartient à l'idée. Mais, comme
leur mouvement est rarement direct et qu'il dévie naturellement d'un côté ou de
l'autre, à cause de cela, les esprits animaux, tombant dans les traces
contiguës, présentent d'autres idées qui ont un rapport au lieu de celle que
l'esprit désirait d'abord examiner. Nous ne sommes pas toujours conscients de
ce changement mais, continuant encore le même train de pensée, nous utilisons
l'idée en rapport qui se présente à nous et l'employons dans notre raisonnement
comme si c'était la même que celle que nous demandions. » Que Descartes et
Malebranche auraient-ils pu dire de plus à propos sur ce point? Comme tout cela
rend bien compte des erreurs et des sophismes si fréquents et si fatals en
philosophie!
J’ai dit, au
début de ces citations, que je les extrairai des réponses de notre auteur à
certaines objections et je pensais vraiment l’avoir fait quand, lisant
davantage, je fus un peu désarçonné, en haut du paragraphe, par la phrase
suivante : « Après cette chaîne de raisonnement et cette explication
de mes principes, je suis maintenant prêt à répondre à toutes les objections
qui se sont présentées, (373) qu'elles soient tirées de la métaphysique ou de
la mécanique. » J’allais me décider à revenir en arrière pour voir comment
j’avais pu me tromper quand je me facilitai la tâche en réfléchissant au génie
de mon auteur qui aime surprendre ses lecteurs et les jeter dans la perplexité;
et, d’ailleurs, quand je revins en arrière, je ne trouvai rien qui puisse
changer mon opinion sur ce qui s’était passé ou qui puisse répondre aux
attentes qui pouvaient naturellement naître de la déclaration ci-dessus citée.
Si ce que j’ai
mentionné m’intrigue dans une certaine mesure, je ne suis pas moins émerveillé
par la modestie sans pareil de notre auteur, qui se manifeste une ou deux pages
plus loin car, à cet endroit, quand il rapporte, pour ainsi dire, l’entière
défaite de ses adversaires, son style est si peu semblable à celui d’un
vainqueur qu’on aurait plutôt tendance à penser qu’il a connu une défaite.
« Ainsi, dit-il, j'ai répondu, semble-t-il, aux trois objections ci-dessus
mentionnées, quoique, en même temps, je sois conscient que peu seront
satisfaits de ces réponses et que de nouvelles objections seront immédiatement
proposées. » Il essaie de deviner l’une d’elles et nous dit :
« On dira probablement que mon raisonnement ne fait rien à l'affaire, et
que j'explique seulement la manière dont les objets affectent les sens, sans
tenter de rendre compte de leur nature et de leurs opérations réelles. » A
cette objection, il dit avec plein de candeur qu’il répond « en plaidant
coupable et en avouant que mon intention n'a jamais été de pénétrer la nature
des corps ou d'expliquer les causes secrètes de leurs opérations. (…) Quant à
ceux qui tentent d'aller plus loin, je ne peux approuver leur ambition tant que
je ne les vois pas, ne serait-ce que dans un cas, rencontrer le succès. Mais,
pour l'instant, je me contente de connaître parfaitement la manière dont les
objets affectent mes sens, et leurs connexions les uns avec les autres, dans la
mesure où mon expérience m'en informe. Cela suffit pour la conduite de la vie,
et aussi pour ma philosophie qui prétend seulement expliquer la nature et
les causes de nos perceptions, impressions et idées. » Je ne saurais dire
ce qui suffira à sa philosophie mais je me risquerai à affirmer que sa
philosophie ne serait jamais suffisante pour nous faire davantage connaître la
nature ou les causes de nos perceptions que ne le peut la conscience de tout
homme sans cette philosophie.
Au paragraphe
suivant, il prend l’air d’un sphinx mais sans avoir l’horrible cruauté du
monstre. Il avance un paradoxe au moins aussi obscur que l’énigme de
l’autre sphinx, bien qu’il soit content d’affirmer qu’il s’expliquera
facilement par le raisonnement précédent. Ce qui suit en est une transcription
fidèle : « Je conclurai, dit-il, ce sujet de l'étendue par un
paradoxe (…). Ce paradoxe est celui-ci : s'il vous plaît de donner à la
distance invisible et intangible ou, en d'autres termes, à la capacité de
devenir une distance visible et tangible, le nom de vide, étendue et matière
sont la même chose, et pourtant il y a du vide. Si vous ne voulez pas
lui donner ce nom, le mouvement est possible dans le plein sans impulsion in
infinitum, sans tourner en cercle et sans
pénétration. » Ce propos obscur nous amène très près de la fin de la
cinquième section qui se clôt en prouvant que le temps n’est rien que la
manière dont certains objets réels existent.
La sixième (et
dernière) section de la seconde partie de cet ouvrage traite des idées
d’existence et d’existence extérieure. Comme notre auteur envisage de façon
plus complète ces questions abstruses ci-après, je ne retiendrai pas ce qu’il
dit à cet endroit où il se contente de faire allusion à ses opinions sur elles.
J’en viens donc
maintenant à la troisième partie de ce traité, où l’auteur traite très
largement de deux questions très curieuses, la connaissance et la probabilité.
Si je devais faire un abrégé méthodique des différentes sections qui composent
son discours, cela m’entraînerait largement au-delà de l’espace que je puis
accorder à cet article. Je dois donc suivre le cours que j’ai suivi jusqu’ici
en me contentant de choisir çà et là un passage extraordinaire pour
l’information et le divertissement des lecteurs.
La première
section de cette partie s’ouvre par une énumération des différentes sortes de
relation philosophique. Il y en a sept, à savoir ressemblance, identité,
relations de temps et de lieu, proportion de quantité ou de nombre, degrés
d’une qualité quelconque, contrariété et causalité. Notre auteur nous dit
ensuite que seules quatre de ces relations peuvent être objets de connaissance
et de certitude. Ce sont la ressemblance, la contrariété, les degrés
de qualité et les proportions de quantité ou de nombre. Les trois
premières relations se découvrent à première vue et se trouvent plus proprement
dans le domaine de l’intuition plutôt que dans celui de la démonstration, cette
dernière étant surtout concernée quand on fixe les proportions de quantité et
de nombre. Il saisit ici l’occasion pour prononcer un verdict sur la géométrie,
verdict très différent de celui que prononce le gros de l’humanité qui ne
réfléchit pas et qui est enclin à nourrir je ne sais quels préjugés en sa
faveur. « C’est, dit-il, l’art par lequel nous fixons les
proportions des figures, et quoiqu’elle l’emporte de beaucoup, aussi bien en
universalité qu’en exactitude, sur les jugements vagues des sens et de
l’imagination, elle n’atteint pourtant jamais
une parfaite précision et une parfaite exactitude. Ses premiers principes sont
encore tirés de l’apparence générale des objets, et cette apparence ne saurait
jamais nous offrir aucune sécurité quand nous examinons la prodigieuse
petitesse dont (376) la nature est susceptible. Nos idées semblent donner une
parfaite assurance que deux lignes droites ne peuvent avoir un segment
commun ; mais si nous considérons ces idées, nous trouverons qu’elles
supposent toujours une inclination sensible des deux lignes, et que, si l’angle
qu’elles forment est extrêmement petit, nous n’avons aucun critère d’une ligne
droite assez précis pour nous assurer de la vérité de cette proposition. »
Les géomètres qui voudraient être eux-mêmes édifiés peuvent, dans l’original
dont j’ai extrait ce passage, en trouver d’autres du même genre qui révèlent la
profondeur de l’érudition de ce grand mathématicien. « Les mathématiciens,
dit-il, ont coutume de prétendre que les idées qui sont leurs objets sont d’une
nature si raffinée et spirituelle qu’elles ne tombent pas sous la conception de
l’imagination, mais qu’elles doivent être comprises par une vue pure et
intellectuelle dont seules les facultés supérieures de l’âme sont
capables. » C’est, affirme-t-il, entièrement un artifice et, pour le
détruire, il suffit de réfléchir à ce principe, si souvent soutenu, que toutes
nos idées sont des copies de nos impressions. J’ai souvent fait allusion à
la très grande valeur de cette découverte, à l’honneur de cette découverte qui
revient entièrement à notre auteur mais ce principe ne saurait être trop
souvent inculqué. Je pense vraiment que, si on le suivait très étroitement, il
nous conduirait à d’inestimables desiderata, comme le mouvement
perpétuel, le grand élixir ou le dissolvant pour pierres,
etc. Que de merveilles faites dans la république des lettres par un seul
principe très simple! Mais je me demande si on peut comparer avec les principes
ci-dessus mentionnés, à l’exception de celui de M. Leibniz. Tout le
monde a entendu dire quel immense domaine de la connaissance il a ouvert par sa
raison suffisante et comme (377) le monde, à ce jour, est beaucoup plus sage
grâce à lui. De tels bienfaiteurs de l’humanité feront toujours l’admiration de
la postérité.
Je vais
maintenant dire un mot ou deux de la seconde et de la
troisième sections. La première tourne autour de la probabilité
et de l’idée de cause et d’effet. Dans l’autre, on nous dit pourquoi
une cause est toujours nécessaire. Toutes les personnes qui éprouvent une
antipathie pour la preuve a priori de l’existence de Dieu peuvent aller
voir cette section où elles auront la satisfaction de la voir entièrement
détruite. L’auteur a, à cet endroit, détruit ses fondations et c’est tout
l’édifice qui s’est écroulé. Le Dr Clarke et un certain John Locke, maître Locke,
qu’il nomme en particulier, deux des plus superficiels raisonneurs, comme tant
d’autres, n’ont pas été assez forts pour imaginer que tout ce qui commence à
exister doit avoir une cause d’existence. Que dis-je! Hobbes lui-même, pour
autant qu’on le pense athée, était comme ces auteurs. Tout le monde sait
comment ce philosophe et les grands hommes précédemment nommés prétendaient
prouver la proposition mais notre auteur déclare que tout ce qu’ils ont produit
à cette fin est fallacieux, sophistique et frivole et il pense réellement qu’il
n’est pas nécessaire d’employer beaucoup de mots pour montrer la faiblesse de
leurs arguments.
Mais, quoique
notre auteur ait entièrement détruit la preuve a priori de l’existence divine,
j’espère de tout cœur qu’il n’a pas l’intention d’affaiblir cette vérité
fondamentale, qu’il existe un Être nécessaire, éternel et indépendant.
Il n’affirme pas directement qu’une chose peut venir à l’existence sans une
cause, il veut seulement que l’expérience soit la seule voie par
laquelle nous puissions arriver à la certitude de cette thèse, que tout ce
qui commence à exister doit avoir eu une cause de son existence; et que l’expérience
nous y conduise, c’est, j’imagine, ce que notre auteur entend prouver dans les
sections qui suivent. Je voudrais être (378) plus positif sur ce point mais,
ayant parcouru les sections auxquelles je fais allusion afin de savoir si c’est
leur portée réelle, je reconnais que je ne peux les comprendre suffisamment
pour me prononcer de façon dogmatique. Il n’est pas étonnant que cette question
m’embarrasse car elle doit aussi embarrasser tous les hommes qui ne sont pas
dotés d’une pénétration extraordinaire, si l’on se fie au fait que notre auteur
reconnaît lui-même la relative obscurité de son argument. D’ailleurs, à peu
près au milieu de la douzième section, il dit très bien : « Je suis
conscient que ce raisonnement doit paraître abstrus à la généralité des
lecteurs qui, n’étant pas accoutumés à des réflexions si profondes sur
les facultés intellectuelles de l’esprit, seront portés à rejeter comme
chimérique tout ce qui ne s’accorde pas avec les notions courantes reçues et
avec les principes de philosophie les plus faciles et les plus évidents. Sans
doute, des efforts sont nécessaires pour pénétrer ces arguments quoique,
peut-être, il en faille très peu pour percevoir l’imperfection de toutes les
hypothèses vulgaires sur ce sujet, et le peu de lumière que la philosophie
peut encore nous offrir dans des spéculations aussi profondes et aussi
curieuses. » Dans la quatorzième section, après d’autres spéculations
raffinées, il ajoute : « je crois bon d’avertir que je viens juste
d’examiner l’une des plus sublimes questions de la philosophie, à savoir celle
qui porte sur le pouvoir et l’efficace des causes, question qui semble tant
intéresser toutes les sciences. » La raison de cet avertissement participe
de l’excellence de son sujet car il ajoute : « Un tel avertissement
éveillera naturellement l’attention du lecteur et lui fera désirer un exposé
plus complet de ma doctrine et des arguments sur lesquels elle se fonde. »
Une noble issue en vérité, et la plus gracieusement appuyée car il dit :
« Cette requête, dit-il, (379) est si raisonnable que je ne peux refuser
de m’y soumettre, surtout parce que j’ai l’espoir que plus ces principes seront
examinés, plus ils acquerront de force et d’évidence. Indubitablement!
Que ma conjecture
soit exacte pour ce qui est de la portée des sections ci-dessus nommées est
confirmé avec grande probabilité par les passages qui suivent et qu’on trouve
vers la fin, que je ne signale pas comme des témoignages de la sagacité de mon
jugement mais que je donne pour instruire le lecteur sur une question
métaphysique de la plus haute dignité; c’est-à-dire, dans le style de notre
auteur, pourquoi une cause est-elle toujours nécessaire? Ou, en langage courant, pourquoi l’esprit conçoit-il une
cause nécessaire de l’existence de toute chose qui a un commencement? Il
dit :
« L’idée de nécessité naît de quelque impression. Il n’existe aucune impression communiquée par les sens qui puisse donner naissance à cette idée. Elle doit donc être dérivée de quelque impression interne ou impression de réflexion. Il n’existe aucune impression interne qui offre une relation avec ce qui nous occupe, sinon ce penchant, que la coutume produit, à passer d’un objet à l’idée de celui qui l’accompagne d’ordinaire. C’est donc là l’essence de la nécessité. En somme, la nécessité est quelque chose qui existe dans l’esprit, pas dans les objets, et il ne nous est jamais possible d’en former l’idée la plus lointaine si nous la considérons comme une qualité qui se trouve dans les corps. Ou nous n’avons aucune idée de nécessité, ou la nécessité n’est rien que la détermination de la pensée à passer des causes aux effets et des effets aux causes, conformément à l’expérience de leur union.
Ainsi, de même que la nécessité qui fait que deux fois
deux égalent quatre ou que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux
angles droits se trouve seulement dans l’acte de l’entendement par lequel nous
considérons et (380) comparons ces idées, de la même manière, la nécessité ou
le pouvoir qui unit les causes et les effets se trouve dans la détermination de
l’esprit à passer des unes aux autres. L’efficace, ou énergie des causes, n’est
placée ni dans les causes elles-mêmes, ni dans la divinité ,
ni dans le concours de ces deux principes, mais est entièrement propre à l’âme
qui considère l’union de deux objets, ou plus, dans tous les cas passés. C’est
là que se situe le pouvoir réel des causes, ainsi que leur connexion et leur
nécessité. » C’est là la plus
merveilleuse doctrine, je le déclare, et telle que notre auteur reconnaît
qu’elle est car il ajoute :
« Je me rends compte que, de tous les paradoxes
que j’ai eu ou que j’aurai par la suite l’occasion d’avancer au cours de ce
traité, le paradoxe présent est le plus violent, et que c’est uniquement à
force de preuves et de raisonnements solides que je peux espérer qu’il soit
admis et triomphe des préjugés invétérés de l’humanité. (…) Communément, un
étonnement accompagne toute chose extraordinaire ; et cet étonnement se
change immédiatement en l’estime la plus haute ou le mépris le plus fort selon
que nous approuvons ou désapprouvons cette chose. J’ai grand
peur que cependant, quoique le raisonnement précédent me paraisse le plus bref
et le plus décisif qu’on puisse imaginer, chez la plupart des lecteurs, la
prévention de l’esprit ne prévale et ne produise en eux un préjugé contre la
présente doctrine. (…) La notion contraire est si rivée dans l’esprit par les
principes ci-dessus mentionnés que je ne doute pas que mes sentiments ne soient
traités par beaucoup d’extravagants et de ridicules. » C’est assez
probable, en vérité car ceux qui lisent ces passages doivent être convaincus
que certains hommes sont très étranges et sont de simples animaux. Notre
admirable auteur doit s’attendre à avoir les chevilles mordillées, comme tous
les grands génies, par un (381) amas d’impertinents stupides pour qui il a
généreusement constitué tout un ensemble d’objections. « Quoi !
L’efficace des causes se trouve dans la détermination de l’esprit ! Comme
si les causes n’opéraient pas indépendamment de l’esprit, et cela entièrement,
et ne continueraient pas leur opération, même s’il n’existait aucun esprit pour
les considérer ou raisonner sur elles. La pensée peut bien dépendre des causes
pour son opération, mais non les causes de la pensée. C’est là renverser
l’ordre de la nature et rendre second ce qui est en réalité premier. Pour toute
opération, il y a un pouvoir proportionné, et ce pouvoir doit être placé dans
le corps qui opère. Si nous enlevons le pouvoir à une cause, nous devons
l’attribuer à une autre ; mais enlever ce pouvoir à toutes les causes, et
l’accorder à un être qui n’est en aucune façon relié à la cause ou l’effet,
sinon en les percevant, c’est une grossière absurdité, contraire aux principes
les plus certains de la raison humaine. »
Que ces nigauds parlent ainsi s’ils le veulent, notre
auteur méprise leurs attaques, comme il se doit. Il se contente de répondre à
ces arguments (comme il daigne les appeler) : « que le cas est ici à
peu près le même que celui d’un aveugle qui prétendrait trouver un grand nombre
d’absurdités dans l’hypothèse que la couleur écarlate n’est pas identique au
son de la trompette, ni la lumière identique à la solidité. »
Une page ou deux après cette remarquable phrase, il
commence à songer qu’il serait temps de réunir toutes les différentes parties
de son raisonnement (qu’il reconnaît
avoir avancées, quoiqu’avec des motifs justifiables,
d’une manière apparemment absurde) et, en les joignant les unes aux autres, de
former une définition précise de la relation de cause à effet qui est le sujet
de la présente enquête. Deux définitions de cette relation peuvent être
données, nous dit-il, qui diffèrent seulement en ce qu’elles présentent le même
objet selon des points de vue différents et nous le font considérer (382) soit
comme une relation philosophique, soit comme une relation naturelle.
Nous pouvons définir une CAUSE ainsi : « un objet antérieur et contigu à
un autre, tel que tous les objets ressemblant au premier sont placés dans des
relations semblables d’antériorité et de contiguïté aux objets qui ressemblent
au deuxième. » Cette définition est très éloignée de la portée de mon intelligence
et je me demande, à vrai dire, si elle n’est intelligible que pour les hommes
d’une intelligence semblable à celle de notre auteur. Sa deuxième définition
est un peu compréhensible et elle est destinée à la satisfaction de ceux qui
peuvent estimer que la première est défectueuse parce que tirée d’objets, comme
il le dit, étrangers à la cause. « Une CAUSE est un objet antérieur et contigu à un autre, qui lui
est si uni que l’idée de l’un détermine l’esprit à former l’idée de l’autre, et
que l’impression de l’un détermine l’esprit à former une idée plus vive de
l’autre. » Au cas où cette définition serait aussi rejetée pour la même
raison, il ne connaît pas d’autre remède que celui-ci : que les personnes
qui expriment ce scrupule substituent à cette définition une définition plus
juste. Mais, pour sa part, il avoue honnêtement être incapable d’entreprendre
cette tâche car « Quand j’examine avec la plus grande précision ces objets
qui sont couramment nommés causes et effets, je trouve, en considérant un cas
unique, que l’un des objets est antérieur et contigu à l’autre et, quand
j’élargis mon point de vue pour considérer plusieurs cas, je trouve seulement
que des objets semblables sont constamment placés dans des relations semblables
de succession et de contiguïté. De plus, quand je considère l’influence de
cette conjonction constante, je m’aperçois qu’une telle relation ne peut jamais
être un objet de raisonnement et ne peut jamais opérer sur l’esprit que par
l’accoutumance qui détermine l’imagination à opérer une transition de l’un des
objets à celui qui l’accompagne d’ordinaire, et de l’impression de l’un à une
idée plus vive de l’autre. » Quelque extraordinaires que puissent paraître
ces sentiments (j’utilise les propres termes de cet incomparable disputeur), il
pense qu’il serait vain de se troubler avec une enquête ou un raisonnement plus
poussés sur le sujet. Il se reposera sur ces sentiments comme sur des maximes
établies. Amen.
Mais, bien qu’il ait ainsi quitté son sujet, pour ce qui
est de l’enquête et du raisonnement, il ne le quitte pas avant d’en avoir tiré
certains corollaires par lesquels il entreprend tout bonnement de supprimer
plusieurs préjugés et plusieurs erreurs populaires qui ont très grandement
prévalu en philosophie. Ceux qui veulent voir ces curiosités doivent aller voir
l’original car je ne peux, dans cet abrégé, insérer les exemples de tout ce qui
y est remarquable.
J’en viens à la quinzième section du livre I, où il
expose huit règles pour juger des causes et des effets. Le lecteur pourra les
regarder s’il le veut quand il ira voir les corollaires ci-dessus mentionnés.
Je retiendrai ici un passage qui les accompagne et un autre qui les suit et,
ils sont vraiment, chacun à leur manière, réellement admirables. Dans le
premier, notre auteur dit que, selon la doctrine qu’il a établie,
« N’importe quoi peut produire n’importe quoi. Création, annihilation,
mouvement, raison, volition : toutes ces choses peuvent naître l’une de
l’autre, ou de n’importe quel objet que nous puissions imaginer. » Quel
charmant système en vérité ! On ne peut guère concevoir son utilité ou à
quelles fins il peut servir. Il faut espérer que son inimitable inventeur
voudra bien un jour nous donner une large et ample explication de ce point.
Je ne peux m’empêcher de violer un engagement
précipité. J’ai dit que je ne retiendrais pas les règles dont j’ai parlé
ci-dessus (384) mais, jetant les yeux sur la dernière, il m’était impossible de
ne pas y admirer le bel exemple de la justesse des principes de notre auteur.
Cette règle est « qu’un objet, qui existe pour un temps dans sa pleine
perfection sans aucun effet, n’est pas la seule cause de cet effet,
mais requiert l’assistance de quelque autre principe qui favorise son influence
et son opération. » Ici, le lecteur peut voir une illustration de la
doctrine de notre auteur : « Que n’importe quoi peut produire
n’importe quoi. » Dans ce n’importe quoi, il compte l’annihilation
et la création ou, en d’autres termes, il affirme que quelque chose peut
naître de rien ou n’être produite par rien. Et il en est ainsi
dans la règle ci-dessus indiquée où nous trouvons sans aucun effet,
c’est-à-dire rien, qui devient en un clin d’œil cet effet, qui
est quelque chose.
Quand il nous a conduit dans cette suite
subtile d’arguments sur la cause et l’effet, il nous dit :
« Voilà toute la logique que
je juge bon d’employer dans mon raisonnement. Peut-être même n’était-ce pas
vraiment nécessaire, et les principes naturels de notre entendement auraient pu
y suppléer. Nos fleurons de la scolastique et nos logiciens ne montrent pas une
telle supériorité sur le simple vulgaire, dans leurs raisonnements et leurs
capacités, qu’ils nous donnent une inclination à les imiter en faisant un long
système de règles et de préceptes pour diriger notre jugement en
philosophie. »
Dans la seizième section qui termine la troisième
partie du livre I, nous rencontrons certaines réflexions sur la raison
des animaux. Elles sont calculées pour confirmer la doctrine précédente
sur la cause et l’effet, quelque éloignées qu’elles semblent être de ce
dessein. Pourtant, dit-il, elles y répondent effectivement, comme presque
intuitivement, pour convaincre de la vérité du système.
(385) Nous en venons maintenant à la quatrième partie
de ce volume. Nous n’en ferons pas une analyse précise mais nous
sélectionnerons quelques passages curieux que nous pensons pouvoir servir au
plaisir et à l’édification du lecteur. Dans cette partie, notre auteur traite
du système sceptique et des autres systèmes philosophiques et il entreprend
d’avancer des propositions qui n’entrent jamais dans l’esprit des écrivains
ordinaires. Ainsi, dans le tout premier paragraphe, il montre qu’il n’existe
pas de science au sens strict et que toute connaissance dégénère en probabilité ;
« et cette probabilité est plus ou moins grande selon notre expérience de
la véracité ou de la fausseté de notre entendement, et selon la simplicité ou
la complexité de la question. » Et son second paragraphe nous assure qu’
« Il n’est pas d’algébriste ni de mathématicien assez expert dans sa
science pour placer son entière confiance en une vérité qu’il vient
immédiatement de découvrir et la considérer comme autre chose qu’une simple
probabilité. A chaque fois qu’il passe en revue ses preuves, sa confiance
augmente, mais encore davantage si ses amis l’approuvent, et cette confiance
s’élève à sa plus grande perfection par l’assentiment universel et
l’approbation du monde savant. » Après cela, il utilise pendant cinq pages
le langage d’un sceptique et, alors, il nous informe du dessein qu’il a
en vue, nous faire prendre conscience de la vérité de son hypothèse, à savoir
« que tous nos raisonnements sur les causes et les effets ne sont tirés
de rien d’autre que l’accoutumance, et que cette croyance est plus proprement
un acte de la partie sentante que de la partie pensante de notre nature. »
La suite de cette section est employée à nous mettre en garde, pour ce qu’il a
avancé sur ce point, contre certaines objections dont seraient susceptibles
certains esprits non avertis.
Dans la seconde section, il considère le
scepticisme à l’égard des sens et, ici, il enquête (386) sur les causes qui
nous poussent à croire à l’existence des corps. Il commence son raisonnement
sur ce point par une distinction qui, il nous l’assure, contribuera beaucoup à
la parfaite compréhension de ce qui suit. Nous
devons, comme il le dit, examiner séparément ces deux questions qui sont
couramment confondues : pourquoi attribuons-nous aux objets une
existence CONTINUE, même quand ils ne sont pas présents aux sens,
et : pourquoi leur supposons-nous une existence DISTINCTE de l’esprit et de la perception ? [31] Après un examen très soigneux, il rejette ce qu’on
propose généralement comme solution à cette question et il propose une solution
de son cru qui, dit-il, expliquera très clairement et de façon très
satisfaisante ce qui est contenu dans ces questions.
Il serait content que je puisse présenter à mes
lecteurs les sentiments d’un génie aussi profond et aussi précis que celui dont
nous parlons ici, sur l’une des questions métaphysiques les plus abstruses et
les plus incompréhensibles mais, Hélas ! Elle est d’une trop grande
étendue pour la taille de cet article. Nous nous
efforcerons néanmoins de présenter certains échantillons par lesquels, au moins,
nous montrerons quel heureux talent il a pour surmonter ces difficultés qui ont
prouvé le ne plus ultra [32] de tant d’autres.
« Après un bref examen, nous trouvons que tous les objets auxquels nous attribuons une existence continue, ont une constance particulière qui les distingue des impressions dont l’existence dépend de notre perception. Ces montagnes, ces maisons et ces arbres qui se trouvent actuellement sous mes yeux m’ont toujours apparu dans le même ordre ; et, quand je les perds de vue en fermant les yeux ou en tournant la tête, je les retrouve (387) juste après sans le moindre changement. Mon lit et ma table, mes livres et mes papiers se présentent toujours d’une manière uniforme et ne changent pas parce que je cesse de les toucher ou de les percevoir. C’est le cas de toutes les impressions dont les objets sont supposés avoir une existence extérieure. C’est le cas d’aucune autre impression, qu’elle soit douce ou violente, volontaire ou involontaire.
Cette constance, toutefois, n’est pas si parfaite qu’elle n’admette pas des exceptions très considérables. Les corps changent souvent de position et de qualités et, après une légère absence ou une légère interruption, ils peuvent devenir à peine reconnaissables. Mais ici, on peut observer que même dans ces changements ils conservent une cohérence et ont une régulière dépendance les uns par rapport aux autres ; ce qui produit l’opinion de leur existence continue. (…) Cette cohérence dans leurs changements est donc l’une des caractéristiques des objets extérieurs, aussi bien que leur constance. »
Quand notre auteur a montré que l’opinion de l’existence continue des
corps dépend de la COHERENCE et de la CONSTANCE de certaines impressions, il en vient à examiner de
quelle manière ces qualités donnent naissance à un jugement aussi
extraordinaire. Il commence par la cohérence, qu’il considère de très
près pour découvrir toute son efficacité. La conséquence est qu’il
« craint, quelque force que nous puissions attribuer à ce principe, qu’il
ne soit trop faible pour supporter seul un édifice aussi immense que celui de
l’existence continue de tous les corps extérieurs, et que nous ne soyons
obligés de joindre la constance de leur apparition à la cohérence,
afin de donner une explication satisfaisante de cette opinion. » Comme
cette conclusion est pertinente, quand notre auteur a déjà explicitement fondé
l’opinion dont il parle ici sur la constance de l’apparence et qu’il a
mis dans la cohérence une simple sorte de succedaneum !
De plus, son affaire, ici, comme on peut le supposer par la quatrième ligne de
ce paragraphe, n’est pas de dire quel est l’effet de ces propriétés (388) mais
de nous instruire sur le modus de leur opération. Quoi qu’il en soit, il
faut le suivre dans la voie qu’il prend. Donc,
Ayant fait un strict examen du pouvoir de la cohérence et vu ce qu’elle peut ou ne peut pas faire dans le cas qui se présente à nous, il prend à partie la constance de la même manière. Mais, « comme l’explication de cette décision nous conduirait dans des raisonnements très profonds d’une portée considérable, je pense qu’il serait bon, pour éviter la confusion, de donner un court aperçu, un abrégé de mon système, et d’en développer ensuite toutes les parties dans leur pleine étendue. » Pour justifier son système en miniature, dit-il, quatre choses sont requises. Je ne retiendrai que la première qui doit expliquer le principium individuationis ou principe d’identité. Sur ce point des plus curieux, il remarque « que la vue d’un seul objet ne suffit pas à communiquer l’idée d’identité. En effet, dans cette proposition : un objet est identique à lui-même, si l’idée exprimée par le mot objet ne se distinguait en aucune façon de celle exprimée par lui-même, en réalité nous ne produirions aucune signification et la proposition ne contiendrait pas un prédicat et un sujet qui sont pourtant impliqués dans cette affirmation. Un objet unique donne l’idée d’unité, non l’idée d’identité. D’autre part, une multiplicité d’objets ne peut jamais communiquer cette idée, aussi semblables qu’on puisse les supposer. L’esprit affirme toujours que l’un n’est pas l’autre. (…) Puisque le nombre et l’unité sont tous deux incompatibles avec la relation d’identité, celle-ci doit se trouver en quelque chose qui n’est ni l’un ni l’autre. Mais, à vrai dire, à première vue, cela semble totalement impossible. Entre l’unité et le nombre, il ne peut y avoir de milieu, pas plus qu’entre l’existence et la non-existence. (…) (389) C’est très vrai. Mais, maintenant, voyons avec quelle dextérité notre auteur très ingénieux se débarrasse de cette difficulté apparemment inextricable. Pour cela, il se contente d’avoir recours à l’idée de temps ou de durée. Il a déjà remarqué [33] « que le temps, au sens strict, implique succession et que, quand nous appliquons l’idée à un objet invariable, c’est seulement par une fiction de l’imagination par laquelle l’objet invariable est supposé participer aux changements des objets coexistants et en particulier aux changements de nos perceptions. Cette fiction de l’imagination a lieu presque universellement ; et c’est au moyen de cette fiction qu’un objet unique, placé devant nous et examiné pendant un certain temps, sans que nous découvrions en lui une interruption ou une variation, est capable de nous donner une notion d’identité. Car quand nous considérons deux moments de ce temps, nous pouvons les placer sous différents jours. Nous pouvons soit les examiner exactement au même instant, auquel cas ils nous donnent l’idée de nombre, à la fois par eux-mêmes et par l’objet qui doit être multiplié pour être conçu à la fois comme existant à ces deux moments différents du temps ; soit suivre la succession du temps par une semblable succession d’idées et, concevant d’abord un seul moment où l’objet existait alors, imaginer ensuite un changement dans le temps sans variation ni interruption de l’objet, auquel cas nous avons l’idée d’unité. »
Ici, notre auteur dit que c’est une idée intermédiaire entre l’unité et
le nombre ou, pour parler de façon plus appropriée, qui est l’un et l’autre
selon le point de vue pris ; et cette idée, nous (390) l’appelons idée
d’identité. « Ainsi, ajoute-t-il un peu plus loin, le principe
d’individuation n’est rien que le caractère invariable et ininterrompu d’un
objet à travers une variation supposée du temps, par lequel l’esprit peut le
suivre aux différentes périodes de son existence sans aucune rupture du regard
et sans être obligé de former l’idée de multiplicité ou de nombre. »
Les lecteurs qui connaissent tout ce que M.
Locke et son correcteur, le Dr Butler, ont écrit sur cet obscur sujet sans en
avoir été satisfaits seront certainement contents de voir toutes leurs
difficultés s’évanouir en lisant ces quelques paragraphes les concernant.
Où le petit système de notre auteur se
termine-t-il et où son grand système étendu commence-t-il ? Malgré ma
recherche très diligente, je n’ai pas été capable de le saisir. J’ai tendance à
penser qu’ils se sont mêlés l’un à l’autre de façon insensible et qu’ils se
sont incorporés l’un à l’autre. Peut-être le plus grand système n’est-il rien
d’autre que l’explication de ces quatre choses qu’il se propose de considérer
en tant qu’elles sont requises pour la justification du plus petit. Je n’ai pas
réussi à déterminer ce point.
A suivre
(391) Décembre 1739
Suite de l’article XXVI
Outre ceux que j’ai mentionnés, il y a dans cette section que
j’envisage maintenant de nombreux points curieux mais, sans faire de mon
compte-rendu un volume entier et sans insister sur eux comme ils le méritent,
je les laisserai tous de côté, à l’exception d’un petit passage qui mérite une
attention particulière, et c’est la définition de l’esprit humain. « Ce que nous appelons un esprit, dit notre auteur, n’est
rien qu’un amas, une collection de différentes perceptions unies les unes aux
autres par certaines relations, dont on suppose, quoiqu’à tort, douées d’une simplicité et d’une identité
parfaites. »
Dans la troisième section, nous trouvons quelques réflexions très profondes sur la philosophie de l’antiquité. Notre auteur est convaincu que l’on pourrait faire plusieurs découvertes utiles par une critique des fictions portant sur les substances, les formes substantielles, les accidents et les qualités occultes qui, si déraisonnables et capricieuses qu’elles soient, ont une étroite connexion avec les principes de la nature humaine. Dans la suite de cette section, il a l’obligeance de nous donner une preuve inductive de cette position.
Ce qui suit contient un ensemble de remarques sur la philosophie moderne. Elle prétend, nous dit-il, subsister sur une base très différente de celle de la philosophie précédente et venir seulement des principes solides, permanents et cohérents de l’imagination. Il continue en discutant du bien-fondé de cette prétention. Il remarque que le principe fondamental de cette philosophie est l’idée que les qualités secondes des corps ne sont que de simples sensations en nous qui ne sont pas semblables à ce qu’il y a dans les corps eux-mêmes, mais cette hypothèse qu’il s’efforce de prouver, « au lieu d’expliquer les opérations des objets extérieurs, anéantit entièrement tous ces objets et nous réduit au scepticisme le plus extravagant sur eux. »
Avec cette section, notre auteur conclut ses spéculations sur les matériaux, les modifications et les instruments de notre connaissance. Il est remonté jusqu’à l’origine de nos idées, les a rangées en plusieurs classes appropriées, il les a combinées, séparées et il a fait je ne sais quoi avec ; et, enfin, il nous a donné une représentation fidèle des systèmes anciens et modernes qui ont été inventés pour acquérir la science. Son système, désormais, le pousse beaucoup plus loin, dans les vastes régions sublimes de la métaphysique. L’immatérialité de l’âme et ses affections sont ensuite les nobles sujets de ses recherches. Je vais malgré tout m’efforcer de ne pas perdre de vue son propos et, de temps (393) en temps, d’en donner un aperçu à mes lecteurs
J’ai déjà remarqué que cet auteur utilise
beaucoup d’égotismes [34]. Il n’est pas moins remarquable pour ce
qui est des paradoxes. J’en ai cité quelques-uns et nous en rencontrerons
beaucoup d’autres par la suite. Même dans cette section, c’est-à-dire la
cinquième, que j’aborde maintenant, il y en a au moins une demi-douzaine, de
quoi assommer un homme qui n’aurait pas un casque solide. Le titre de cette
section est : De l’immatérialité de l’âme. L’intention de cette
section est de montrer que immatérialité de l’âme est une expression qui n’a
aucun sens et que croire à cette immatérialité est l’hérésie la plus horrible.
L’auteur commence par nous dire que le
monde intellectuel, quoique enveloppé dans des obscurités infinies, n’est
cependant pas embarrassé par les contradictions qui (il l’a prouvé dans les
pages précédentes, dit-il) accompagnent tous les systèmes concernant les objets
extérieurs et par l’idée de matière que nous imaginons si claire et si
déterminée. Il se plaint d’ailleurs de certains philosophes qui, jaloux de
cette bonne qualité du sujet, risquent de nous jeter dans des contradictions
dont le sujet lui-même est exempt. Ces messieurs, pénibles, sont ceux qui
raisonnent de façon bizarre sur les substances matérielles ou immatérielles
auxquelles ils supposent inhérentes nos perceptions. Mais, pour mettre un terme
à leur impertinence, il leur a concocté une question qui – il le sait très bien
– suffit entièrement à les occuper jusqu’au jour du jugement dernier et, en
quelques mots, cette question est la suivante : Qu’entendent-ils par
substance et inhérence ? Certaines des difficultés qui empêchent de
répondre à cette question, il les a très honnêtement exposées, et il avertit
aussi honnêtement ses adversaires qu’il les surveillera sur ce point et qu’il
est vain de songer à (394) temporiser car si l’un d’eux essaie d’éluder
lesdites difficultés en disant qu’une substance est quelque chose qui peut
exister par soi et en prétendant que cette définition doit nous satisfaire,
il le confondra immédiatement en affirmant : « que cette définition
convient à toute chose qu’il est possible de concevoir et qu’elle ne servira
jamais à distinguer la substance de l’accident, ou l’âme de ses
perceptions. » En effet, voici comment il raisonne : « Tout ce qui
est clairement conçu peut exister, et tout ce qui est clairement conçu d’une
certaine manière peut exister de cette manière. » C’est un principe qu’il
a déjà admis. « D’autre part, toutes les choses différentes sont
discernables et toutes les choses discernables sont séparables par
l’imagination. » C’est un autre principe. La conclusion, à partir de ces deux
principes, est « que, puisque toutes nos perceptions sont différentes les
unes des autres et de toute autre chose dans l’univers, elles sont aussi
distinctes et séparables et peuvent être considérées comme existant séparément,
elles peuvent exister séparément et n’ont pas besoin de quelque chose d’autre
pour soutenir leur existence. Elles sont donc des substances, pour autant que
cette définition explique [ce qu’est] une substance. »
Quand, par ces propos, et par d’autres, il a montré
que nous ne saurions jamais arriver à définir de façon satisfaisante la
substance et qu’il a déclaré que nous devons donc entièrement abandonner toute
dispute sur la matérialité ou l’immatérialité de l’âme, il en vient cependant,
assez bizarrement, à s’engager dans la controverse en attaquant un argument en
faveur de l’immatérialité de l’âme, argument couramment employé mais qui lui
semble cependant remarquable. Il s’est étendu sur cet argument sur toute une
page. En gros, cet argument est que la pensée ou conscience ne saurait
être la propriété d’un sujet divisible. L’ensemble de sa réponse est trop
long pour être (395) ici transcrit mais j’assure au lecteur qu’on a
rarement, si ce n’est jamais, vu une chose plus extraordinaire. Ce qu’il a
écrit dans le premier et le second paragraphes de sa réponse est d’une nature
si inhabituelle qu’elle empêchera, semble-t-il, que nous soyons surpris si, en
conséquence de son propos, il expose une maxime qui, il le reconnaît, est
condamnée par plusieurs métaphysiciens et est estimée contraire aux principes
les plus certains de la raison humaine. Cette maxime est qu’un objet peut
exister et n’être cependant nulle part ; et il affirme non seulement
que c’est possible, mais aussi que la plupart des êtres existent et doivent
exister de cette manière. Voyez comment il prouve et illustre cette
proposition. « On peut dire qu’un objet n’est nulle part quand ses parties
ne sont pas situées les unes par rapport aux autres telles qu’elles forment une
figure ou une qualité, et l’ensemble par rapport aux autres corps tels qu’ils
répondent à nos notions de contiguïté et de distance. Or c’est évidemment le
cas pour toutes nos perceptions et tous nos objets, à l’exception de ceux de la
vue et du toucher. Une réflexion morale ne peut pas être placée du côté droit
ou du côté gauche d’une passion, et une odeur et un son ne peuvent pas être de
forme circulaire ou carrée. Ces objets et ces perceptions, loin d’exiger un
lieu particulier, sont absolument incompatibles avec. » Quelle prodigieuse
puissance d’invention ! Comme ces spéculations dépassent largement en
subtilité les plus subtiles toiles d’araignée d’Aristote qui sont
aussi grossières, en comparaison, que de la toile d’emballage ! Et, alors,
sur l’absurdité d’imaginer que des objets réels ne sont nulle part, notre
auteur dit : « S’ils paraissent n’avoir aucun lieu particulier, il
est possible qu’ils existent de la même manière puisque tout ce que nous
concevons est possible. »
(396) Il ne sera pas nécessaire maintenant, dit-il, de
prouver que ces perceptions qui sont simples et n’existent nulle part sont
incapables d’une conjonction locale avec la matière, le corps, qui est étendu
et divisible, puisqu’il est impossible de trouver une relation autrement
que sur une qualité commune. [35] Mais il est certain, selon lui, que toutes les
difficultés sur lesquelles ils insistent, qui attribuent la pensée à un sujet
étendu et divisible, toutes les absurdités qu’ils font naître en la lui
attribuant, ne sont dues qu’à leur ignorance et leur négligence de cette
doctrine. S’ils la comprenaient, ils pourraient, en l’utilisant habilement,
faire taire efficacement toutes les arguties de leurs adversaires. En vérité,
comme ils se fondent sur d’autres principes, accordant un lieu à ce qui est
totalement incapable d’en avoir un et une union locale à la pensée et à
l’étendue, notre auteur dit lui-même que nous ne pouvons refuser de les
condamner. Qu’ils épousent sa thèse et il leur garantit le triomphe ! Il
les instruit de la façon dont ils peuvent déjouer les attaques ennemies, et
même riposter, porter la guerre jusqu’à dans leurs propres quartiers en
montrant l’absurdité d’unir toute pensée à une substance simple et indivisible.
En effet, dit-il, « la philosophie la plus vulgaire nous informe qu’aucun
objet extérieur ne peut se faire connaître immédiatement à l’esprit et sans
l’interposition d’une image ou d’une perception. Cette table, qui m’apparaît
juste maintenant, n’est qu’une perception, et toutes ses qualités sont les
qualités d’une perception. Or la plus évidente de toutes ses qualités est
l’étendue. La perception se compose de parties. Ces parties sont situées de
telle sorte qu’elles nous offrent la notion de distance et de contiguïté, de
longueur, de largeur et d’épaisseur. (…) Et, pour couper court à toute
discussion, l’idée même d’étendue n’est rien que la copie d’une impression, et
elle doit par conséquent (397) parfaitement s’accorder avec elle. Dire que
l’idée d’étendue s’accorde avec une chose, c’est dire que cette chose est
étendue. »
Ainsi, comme il
l’ajoute, le libre-penseur peut
maintenant triompher à son tour et, ayant trouvé qu’il y a des impressions et
des idées réellement étendues, il peut demander à ses adversaires comment ils
peuvent unir un sujet simple et indivisible avec une perception étendue. [36] Il montre que tous leurs arguments se retournent
contre eux et qu’ils ne peuvent se soustraire à leur force.
Ce qu’il a dit sur ce point lui
donne une occasion de reposer la question de la substance de l’âme et,
quoiqu’il ait déjà déclaré (comme nous l’avons déjà vu) que la question soit
entièrement inintelligible, il ne peut s’empêcher de faire quelques réflexions
supplémentaires sur elle. Il affirme carrément que la doctrine de
l’immatérialité, de la simplicité et de l’indivisibilité d’une substance
pensante est un véritable athéisme et qu’elle servira à justifier tous les
sentiments pour lesquels Spinoza a eu partout une si mauvaise
réputation. [37]
Cela, à de nombreux lecteurs,
semblera être le paradoxe le plus dur que cet auteur a avancé. Hélas ! s’exclameront-ils, c’est ton destin, pauvre Dr Clarke,
d’être marqué au fer rouge de véritable athéisme ! Toi, illustre, toi, le
plus savant, judicieux, sincère, zélé et, pourtant, avocat candide de la
religion naturelle et révélée, toi, immortel défenseur de l’immatérialité et de
l’immortalité naturelle des substances pensantes ! Comme tes arguments
solides, clairs et indiscutables ont estimé ces substances, elles qui sont
maintenant dans la poussière, piétinées avec horreur ! C’est en vérité une
situation lamentable mais tel est le plaisir absolu de notre auteur auquel nous
devons nous soumettre. Ni Locke, ni Clarke, ni les noms les plus
vénérables ne doivent usurper la place de la vérité dans ses affections !
(398) Cependant, nous ne devons pas
considérer cela comme une affirmation arbitraire car elle est fondée sur la
raison et l’équité. Pour nous en convaincre, il nous donne un bref aperçu du
spinozisme qu’il appelle une hypothèse affreuse et, ensuite, il nous
montre, d’abord de façon générale puis de façon plus détaillée, dans quelle
mesure cette hypothèse s’accorde avec la doctrine des immatérialistes, en même
temps qu’il rend évident le fait que ces objections qui ont été avancées contre
la première doctrine sont d’une égale force contre la deuxième. Son
raisonnement sur ce sujet tourne encore, dans une grande mesure, autour de son
idée favorite, que l’esprit n’est pas une substance étendue mais seulement une
suite de perceptions indépendantes et passagères.
Quand il a établi la nature des êtres pensants et corrigé les erreurs athées des
immatérialistes sur ce sujet, il en vient à considérer ce que ces gentilshommes
peu orthodoxes soutiennent sur la cause de nos perceptions. Et, après
avoir répété brièvement leurs paralogismes pour prouver que la matière et le
mouvement ne peuvent jamais produire de la pensée (évidence apparente, dit-il,
à laquelle peu d’hommes ont été capables de résister), il continue à les
réfuter (chose la plus facile du monde, dit-il) par l’application de la doctrine
de la causalité que le lecteur a déjà vue dans un passage précédent. [38] De ce qu’il nous a dit sur ce point, il voudrait que
nous ayons conclu avec certitude « que la matière peut être, ou est
effectivement, la cause de la pensée et de la perception. ». Refuser
d’accepter cette proposition nous réduit à ce dilemme : ou affirmer
qu’aucune chose ne peut être la cause d’une autre chose, sinon quand l’esprit
peut percevoir la connexion dans son idée des objets, ce qui exclura toutes les
causes de l’univers sans en excepter la divinité, ou maintenir que tous les
objets que nous trouvons constamment en conjonction doivent, pour cette raison,
(399) être considérés comme des causes et des effets. (…) ce qui, évidemment,
donne l’avantage aux matérialistes contre leurs adversaires.
A la fin de cette section, notre
auteur, en très peu de mots, s’efforce de montrer que ce qu’il a avancé sur ce
point n’affecte en rien la religion. Si sa philosophie, dit-il, n’ajoute rien
aux arguments en faveur de la religion, il a au moins la satisfaction de penser
qu’elle ne leur enlève rien, et que tout demeure précisément comme auparavant.
Dans la section suivante, il traite
largement de l’identité personnelle. Il précise les idées que certains
philosophes se forment sur cette question et qu’ils prétendent être d’une
absolue certitude, et il prouve qu’elles ne sont en aucune façon fondées. Pour
sa part, il ne perçoit rien de cette identité dont parlent faussement
ces auteurs. Si ces derniers ont conscience de quelque chose de simple et de
continu qu’ils appellent leur moi, notre auteur est certain qu’il
n’existe pas un tel principe en lui-même ; et il peut se risquer, dit-il,
à affirmer que ni lui, ni les autres hommes, ne sont autre chose qu’un
ensemble, une collection de différentes perceptions qui se succèdent les unes
aux autres avec une inconcevable rapidité et qui sont dans un flux et un
mouvement perpétuels. [39] Il n’est pas un seul pouvoir de l’âme qui demeure inaltérablement identique. Il n’y a en elle proprement ni simplicité
en un moment, ni identité en différents moments, quelque penchant
naturel que nous puissions avoir d’imaginer cette simplicité et cette identité.
Ce penchant, il est indéniable que nous l’avons, et il dépense plusieurs pages
à nous faire savoir comment il nous vient et comment il s’impose à nous. Il a
besoin ici du principe qu’il a utilisé dans la seconde section de cette partie
de son ouvrage (et dont nous avons parlé p.88) pour expliquer le Principium Individuationis ;
et il montre ce (400) qu’il est et comment nous sommes portés à le concevoir à
l’égard des végétaux et des systèmes inanimés. Sur les mêmes principes et avec
la même méthode de raisonnement, il nous amène à considérer la nature de l’identité
personnelle, celle que nous attribuons à l’esprit humain. Ce n’est, dit-il,
qu’une fiction, du même genre que l’identité que nous attribuons aux végétaux
et aux animaux, qui vient de la même origine et qui procède de la même
opération de l’imagination sur des objets identiques. Il tâche, avec beaucoup de
zèle, de prouver cette vérité remarquable, comme si ses lecteurs devaient
réellement en recevoir quelque profit en y croyant. Quand il a traité cette
question, mis fin à l’examen des différents systèmes philosophiques, aussi bien
du monde intellectuel que du monde moral, il dit qu’« il est maintenant
temps de revenir à un examen plus serré de notre objet, et de procéder à la
rigoureuse dissection de la nature humaine, ayant complètement expliqué la
nature de notre jugement et de notre entendement. »
Mais (comme il le dit lui-même dans la septième section par laquelle il termine ce livre), avant de se lancer dans ces immenses abîmes de philosophie qui s’ouvrent devant lui, il se trouve enclin à arrêter un moment à l’endroit présent et à réfléchir sur le voyage qu’il a entrepris et qui, indubitablement, requiert un art et une application extrêmes pour être mené jusqu’à une heureuse conclusion. « Je suis, il me semble, dit-il (avec une tension suffisante, alors qu’apparaît en nous l’idée de sa résolution, pour percer le cœur de tout lecteur humain), comme un homme qui, ayant buté sur de nombreux hauts-fonds et ayant échappé de justesse au naufrage en passant un étroit bras de mer, a pourtant la témérité de partir au large sur le même vaisseau, battu par la tempête et faisant eau, et qui pousse même l’ambition jusqu’à songer à faire le tour du monde dans ces conditions (401) défavorables. Le souvenir de mes erreurs et de mes embarras passés me rend défiant pour l’avenir. Le triste état, la faiblesse et le désordre des facultés que je dois employer dans mes recherches augmentent mes appréhensions. Et l’impossibilité d’amender ou de corriger ces facultés me réduit presque au désespoir et me fait me résoudre à périr sur le rocher stérile où je suis à présent plutôt que de m’aventurer sur cet océan sans limites qui s’étend jusqu’à l’immensité. Cette vision soudaine du danger où je me trouve me frappe de mélancolie et, comme il est habituel que cette passion, plus que toute autre, soit complaisante pour elle-même, je ne peux m’empêcher de nourrir mon désespoir de toutes les réflexions décourageantes que le présent sujet me fournit en si grande abondance. »
« Je suis effrayé et confondu de la triste solitude où me place ma philosophie et j’imagine que je suis un monstre étrange et sauvage qui, n’étant pas capable de se mêler et de s’unir à la société, a été banni de tout commerce humain et laissé totalement abandonné et inconsolable. Je me fondrais volontiers dans la masse pour m’y abriter et me réchauffer mais je ne peux me résoudre à me mêler à une telle difformité. Je demande aux autres de me rejoindre afin de former un groupe à part mais personne ne veut m’écouter. Chacun se tient à distance et craint la tempête qui me frappe de tout côté. Je me suis exposé à l’inimitié de tous les métaphysiciens, de tous les logiciens, de tous les mathématiciens, et même de tous les théologiens : puis-je m’étonner des affronts que je dois souffrir ? J’ai déclaré que je désapprouvais leurs systèmes : puis-je être surpris qu’ils manifestent de la haine pour mon système et ma personne ? Quand je regarde hors de moi, de tout côté, je prévois discussion, contradiction, colère, calomnie (402) et dénigrement. Quand je tourne le regard vers l’intérieur, je n’y trouve que doute et ignorance. Le monde entier conspire à s’opposer à moi et à me contredire, et pourtant, telle est ma faiblesse que je sens toutes mes opinions se relâcher et tomber d’elles-mêmes quand elles ne sont plus soutenues par l’approbation d’autrui. Chaque pas, je le fais avec hésitation, et chaque nouvelle réflexion me fait craindre une erreur et une absurdité dans mon raisonnement. »
Quel cœur pourrait alors ne pas
saigner ? Quel cœur peut s’empêcher de sympathiser avec cet aventurier
courageux ? Pour ma part, je ne saurais même, sans la plus extrême émotion
et la plus extrême sollicitude, envisager les dangers et les terribles
catastrophes auxquels il s’expose. La citation précédente en donne un petit
aperçu mais nous en avons une plus large description mélancolique dans la suite
de cette section d’où je l’ai extraite. Quoi qu’il en soit, après tout, comme
il convient que nous pleurions avec ceux qui pleurent, il convient que nous
nous réjouissions avec ceux qui sont heureux ; et, vu que notre auteur est
ainsi à certains moments malgré sa tragique condition, il serait ridicule de ne
pas se joindre à son exaltation et ne pas considérer ce qu’il dit de la
question car il est impossible à une autre langue que la sienne du monde
d’exprimer la condition où il se trouve.
« La vue intense de ces
multiples contradictions et imperfections de la raison humaine, dit-il, m’a
tant agité, a tant échauffé mon cerveau que je suis prêt à rejeter toute
croyance et (403) tout raisonnement et que je ne peux même plus regarder une
opinion comme plus probable ou plus vraisemblable qu’une autre. Où
suis-je ? Que suis-je ? De quelles causes est-ce que je tire mon
existence et à quel état retournerai-je ? De qui dois-je briguer la faveur
et de qui dois-je craindre la colère ? Quels sont les êtres qui
m’entourent ? Sur quoi ai-je une influence et qui a une influence sur
moi ? Je suis confondu par toutes ces questions et je commence à
m’imaginer dans la plus déplorable condition, environné des ténèbres les plus
profondes, et totalement privé de l’usage de tout
membre et de toute faculté. » C’est un aperçu de la partie triste de cette
scène. Maintenant, il change et présente un aspect gai et réconfortant car il
ajoute immédiatement après : « Très heureusement, il arrive que,
puisque la raison est incapable de dissiper ces nuages, la nature elle-même
suffit pour atteindre ce but, et elle me guérit de cette mélancolie et de ce
délire philosophiques, soit en relâchant la tendance de l’esprit, soit par
quelque distraction, par une vive impression de mes sens qui efface toutes ces
chimères. Je dîne, je joue au trictrac, je parle et me réjouis avec mes amis
et, quand, après trois ou quatre heures d’amusement, je veux retourner à ces
spéculations, elles paraissent si froides, si contraintes et si ridicules que je
n’ai pas le cœur d’aller plus loin. (…) je suis prêt à jeter au feu tous mes
livres et tous mes papiers, et à me résoudre à ne plus jamais renoncer aux
plaisirs de la vie pour l’amour du raisonnement et de la philosophie. »
Je vais prendre congé de notre
auteur pendant qu’il est de cette humeur réconfortante, dans cette situation
agréable car, regardant plus loin, je le vois très prêt à rechuter dans des
méditations sur des sujets incompréhensibles, et aussi dans le scepticisme,
dans la déception et dans toute cette sombre et horrible suite d’idées (404)
dont il ne sort qu’à ce moment. Vais-je le suivre dans ces profondeurs immenses
de la philosophie dans lesquelles il se lance dans son second volume, je ne
l’ai pas encore décidé. Peut-être ai-je déjà suffisamment répondu au dessein de
cet article qui était de faire connaître ce traité d’une façon plus générale
qu’il ne l’a été, de le soumettre, dans les limites de mes capacités, à
l’attention des savants qui sont les juges appropriés de sa teneur, qui jugeront
ses thèses, diront si elles sont justes et utiles, qui ont l’autorité pour
corriger les erreurs de toute nature, et, enfin, pour dire à cet auteur
ingénieux, qui il soit, les points qui peuvent demander à être reconsidérés.
Son ouvrage donne incontestablement des signes d’une grande aptitude, d’un
génie en plein essor, mais encore jeune et dont l’exercice n’est pas encore
assez approfondi. [40] Le sujet est large et noble, comme tous ceux qui
peuvent exercer l’entendement mais il requiert un jugement très mûr pour être
traité comme l’exigent sa dignité et son importance. La plus grande prudence,
la plus grande sensibilité et la plus grande délicatesse sont requises pour
aller jusqu’à l’issue désirable. Le temps et l’usage peuvent mûrir ces qualités
chez notre auteur et nous aurons probablement raison de considérer cette
production, quand nous les comparerons avec celles qui vont suivre, sous le
même jour que les ouvrages de jeunesse de Milton [41] ou la première manière d’un Raphaël par rapport aux autres peintres célèbres.
Fin
[1] Hume :
My own Life (NdT)
[2] Voir par exemple la Bibliothèque raisonnée des savants de l’Europe, 1739, 1740 et 1741, vol. 22, 24 et 26. Ces textes seront prochainement disponibles sur Philotra. (NdT)
[3] « an Article with regard to my Book, somewhat abusive” (lettre de Hume à Francis Hutcheson du 4 mars 1740. (NdT)
[4] Ce qui est plus que douteux puisque Hume était en Ecosse quand parut l’article. (NdT)
[5] L’auteur de l’article utilise deux mots (liberty, freedom) que l’on peut ici considérer comme des synonymes. On peut s’étonner que l’auteur de l’article n’ait pas ici employé « free-will », expression beaucoup plus claire pour un lecteur anglais qui a appris de Hobbes que la nécessité est compatible avec la liberté mais qu’elle ne l’est pas avec le libre arbitre. (NdT)
[6] C’était par exemple la position de Bramhall dans la dispute qui l’a opposé à Hobbes. On peut consulter les textes aux Classiques des Sciences Sociales et sur Philotra. (NdT)
[7] Les passages de Hume sont extraits de ma traduction du Traité de la nature humaine, aux Classiques des Sciences Sociales, Chicoutimi, 2006. (NdT)
[8] Notre auteur nous dit qu’il utilise ces termes dans un sens qui diffère du sens habituel et il espère que cette liberté lui sera permise. Il pense qu’il restaure plutôt le mot idée dans son sens d’origine que M. Locke (comme il lui plaît de le dire) avait détourné en l’appliquant à toutes nos perceptions. (Note de l’auteur de l’article.
[9] « the perceiving Faculté ». Hume dit plus précisément : « dans notre pensée ou conscience ». (NdT)
[10] On trouve tout au long de cet ouvrage énormément d’égotismes. L’auteur n’aurait guère fait plus fréquemment usage de cette façon de parler s’il avait écrit ses mémoires. (Note de l’auteur de l’article)
[11] La note précédente de l’auteur de l’article indique une méconnaissance profonde de la méthode humienne. Eût-il lu Descartes (avec toutes les distinctions qui s’imposent) qu’il eût parlé des égotismes de l’auteur des Méditations sans saisir la méthode cartésienne. (NdT)
[12] L’auteur de l’article cite quasiment Hume. (NdT)
[13] C’est simplement parce que certaines impressions sont des impressions de réflexion qui naissent la plupart d’idées que Hume juge nécessaire de commencer par les idées. (NdT)
[14] Il y a ici un adverbe dont seule la fin est lisible dans l’exemplaire de mauvaise qualité qui est en ma possession. (NdT)
[15] On peut bien se demander s’il existe en réalité des idées abstraites ou générales mais il ne saurait y avoir aucun doute sur celle qui est posée ici. Personne de sensé ne saurait se demander si les idées abstraites ou générales sont générales ou particulières dans l’esprit qui les conçoit. (Note de l’auteur de l’article).
[16] L’auteur de l’article, comme très souvent, cite Hume sans utiliser de guillemets. (NdT)
[17] De nouveau, citation sans guillemets. (NdT)
[18] On trouve ici une note de quelques lignes mais qui est illisible dans l’édition que j’ai sous les yeux. (NdT)
[19] De nouveau, citation sans guillemets. (NdT)
[20] La divisibilité à l’infini de l’espace est, je pense, une impropriété. L’espace est, au sens le plus strict un individuum et, bien que notre auteur se soit exprimé comme ci-dessus, il semble pourtant, par le raisonnement suivant (si on peut l’appeler ainsi), entendre par espace la matière, l’étendue solide. (Note de l’auteur de l’article)
[21] Il pourrait plus raisonnablement avoir dit que l’esprit peut atteindre un minimum ou être convaincu de l’existence d’atomes indivisibles car il est certain que l’imagination ne forme une idée d’extension partielle que sous certaines figures. Or une figure dont aucune subdivision ne peut être conçue, c’est une contradiction aussi grossière que celles que notre auteur critique dans tout son traité. (Note de l’auteur de l’article).
[22] Cet axiome est quelque peu semblable à l’abracadabra des magiciens. Il fait des merveilles et est constamment répété. Que ce gentilhomme l’applique encore une fois au cas qui se présente à nous ; qu’il voie s’il peut concevoir dans son imagination un grain de sable sans concevoir une surface et qu’il voie s’il peut imaginer une surface sans au moins deux côtés divisibles et, par conséquent, selon son propre axiome, deux côtés séparables. (note de l’auteur de l’article)
[23] Cet auteur imagine une difficulté là où il n’y en a aucune. La difficulté implique une possibilité de l’acte qui est rapporté et une capacité de l’agent de l’accomplir, quand il est poussé au maximum et qu’il s’accompagne de circonstances favorables. Mais il est entièrement au-delà de la portée de l’esprit humain de former une idée exacte (si on entend par là une idée adéquate) d’une mite ou de quelque animal que ce soit. (Note de l’auteur de l’article)
[24] Comme cette distinction entre l’impossibilité et la difficulté qui accompagnent les différents systèmes est subtile ! Mais, en réalité, aucun homme, dans l’univers, ne peut en tirer le moindre profit, sinon l’auteur lui-même. A tous les autres, il est impossible, selon une hypothèse ou une autre, d’avoir une idée distincte représentant toutes les parties d’un insecte mille fois plus petit qu’une mite, sans même exclure ceux qui sont composés d’esprits animaux. (Note de l’auteur de l’article)
[25] Erreur manifeste. Hume dit évidemment « possible » et non « impossible ». (NdT)
[26] Le titre de cette section est simplement « réponses aux objections ». (NdT)
[27] Voilà une façon étrange de dissimuler son ignorance. (NdT)
[28]
L’auteur cite ici hume mot à
mot. (NdT)
[29] Idem.
(NdT)
[30] Idem.
(NdT)
[31] L’auteur de l’article cite Hume mot à mot. (NdT)
[32] Forme possible de « nec plus ultra ». (Note du numérisateur)
[33] Dans la 5ème section de la seconde partie de ce volume. (Note de l’auteur de l’article).
[34] Page 357. (Note de l’auteur de l’article)
[35]
L’auteur de l’article cite quasiment
Hume. (NdT)
[36] Idem.
(NdT)
[37] Idem.
(NdT)
[38] Voyez pages 379-384 (Note de l’auteur de l’article).
[39] Citation de Hume. (NdT)
[40] Hume le reconnaît lui-même dans une lettre à Gilbert Elliot of Minto (1751). (NdT)
[41] « juvenile works ». Hume reprit cette expression quand il désavoua le Traité. (NdT)