David
Hume
De l’indépendance du
Parlement
in
Essays, Moral and Political
1 volume
Edinburgh, A. Kincaid
1741
Les auteurs politiques [1] ont établi comme une maxime que, en constituant un système de gouvernement et en fixant les freins et les contrôles de la constitution, on doit supposer que tout homme est un fripon et que toutes ses actions n’ont pour but que l’intérêt privé. C’est par cet intérêt que nous devons le gouverner, c’est par cet intérêt que, malgré son avarice et son ambition insatiables, nous devons l’amener à coopérer au bien public. Sans cela, disent-ils, c’est en vain que nous vanterions les avantages d’une constitution et nous finirions par nous rendre compte que nous n’avons aucune sécurité pour nos libertés et nos biens, à l’exception du bon vouloir de nos gouvernants, ce qui revient à dire que nous n’avons absolument aucune sécurité.
C’est donc une juste maxime politique qu’on doit tenir tout homme pour un fripon, quoique, en même temps, il semble quelque peu étrange qu’une maxime puisse être vraie en politique et fausse dans les faits. Mais pour éclaircir ce point, nous devons considérer que les hommes sont généralement plus honnêtes dans leur conduite privée que dans leur conduite publique et qu’ils iront plus loin pour servir un parti que quand leur seul intérêt privé est concerné. Les hommes sont largement retenus par le sens de l’honneur mais, quand un corps important d’hommes agissent ensemble, ce frein est supprimé dans une grande mesure puisqu’un homme est certain qu’il sera approuvé par son propre parti pour tout ce qui favorise l’intérêt commun, et il apprend rapidement à mépriser les cris de l’adversaire. Nous pouvons ajouter à cela que chaque assemblée (court), chaque sénat se détermine par le plus grand nombre des suffrages, de sorte qu’il suffit que l’intérêt personnel influence la majorité (comme c’est toujours le cas) pour que le sénat entier cède à l’attrait de l’intérêt particulier et agisse comme s’il ne contenait pas un seul membre se souciant de l’intérêt public et de la liberté.
Donc, quand s’offre à notre critique et à notre examen un
plan de gouvernement, réel ou imaginaire, où le pouvoir est réparti entre
plusieurs assemblées ou plusieurs ordres d’hommes, nous devons toujours
considérer l’intérêt particulier de chaque assemblée et de chaque ordre et, si
nous voyons que, par une habile division du pouvoir, cet intérêt doit
nécessairement, dans ses opérations, concourir avec l’intérêt public, nous
pouvons déclarer que ce gouvernement sera sage et heureux. Si, au contraire, on
ne met pas un frein à l’intérêt particulier et qu’il n’est pas dirigé vers
l’intérêt public, nous devons n’attendre d’un tel gouvernement que factions,
désordre et tyrannie. L’expérience et l’autorité de tous les philosophes et de
tous les politiques, anciens et modernes, justifient cette opinion.
On peut en déduire que des génies tels que Cicéron ou Tacite auraient été bien surpris si on leur avait dit que, dans l’avenir, il naîtrait un système très régulier de gouvernement mixte où l’autorité serait distribuée de telle façon qu’un rang, quand il lui plairait, pourrait engloutir tous les autres et absorber tout le pouvoir de la constitution. Un tel gouvernement, auraient-ils dit, ne sera pas un gouvernement mixte. En effet, [auraient-ils ajouté,] si grande est l’ambition des hommes qu’ils n’ont jamais assez de pouvoir et que, si un ordre d’hommes, en poursuivant son propre intérêt, peut usurper le pouvoir de tout autre ordre, il le fera à coup sûr et se rendra, autant qu’il le pourra, absolu et incontrôlable.
Mais, s’ils avaient eu cette
opinion, l’expérience leur aurait donné tort puisque c’est actuellement le cas
avec la constitution britannique. La part de pouvoir allouée par notre
constitution à la Chambre des Communes est si grande qu’elle commande
absolument toutes les autres parties du gouvernement. Le pouvoir législatif du
roi, manifestement, ne peut pas être un obstacle car, bien que le roi ait un
droit de veto en matière législative, dans les faits, ce pouvoir est si peu important que ce que
votent les deux Chambres deviendra nécessairement une loi, l’accord royal
n’étant qu’une pure formalité. Le poids principal de la Couronne se trouve dans
le pouvoir exécutif mais, outre que le pouvoir exécutif, dans tout
gouvernement, est subordonné au pouvoir législatif, outre cela, dis-je,
l’exercice de ce pouvoir requiert une immense dépense alors que les Communes se
sont réservé à elles-seules le droit d’accorder des fonds. Comme il serait donc
facile à cette Chambre de ravir à la couronne tous les pouvoirs, les uns après
les autres, en liant chaque sortie d’argent à une condition et en choisissant
si bien le moment d’un refus de subsides qu’il mettrait le gouvernement dans
une très mauvaise situation sans pour cela donner aux puissances étrangères un
avantage sur nous ! Si la Chambre des Communes dépendait de la même
manière du roi et si ses membres ne possédaient que ce que le roi leur donnait,
ne commanderait-il pas toutes leurs résolutions et n’aurait-il pas dès ce
moment un pouvoir absolu ? Quant à
la Chambre des Lords, elle est un soutien très puissant pour la Couronne aussi
longtemps que cette dernière lui rend la politesse mais l’expérience et la
raison montrent qu’elle n’a pas assez de force ou d’autorité pour se maintenir
seul sans un tel soutien.
Comment donc résoudre ce paradoxe ? Par quel moyen ce membre de notre constitution se trouve-t-il borné par les limites qui conviennent puisque, par notre constitution même, il peut nécessairement avoir autant de pouvoir qu’il en réclame et n’est limité que par lui-même ? Comment cela est-il compatible avec notre expérience de la nature humaine ? Je réponds que l’intérêt du corps est ici restreint par celui des individus et que la Chambre des Communes n’étend pas son pouvoir parce qu’une telle usurpation serait contraire à l’intérêt de la majorité de ses membres. La Couronne dispose de tant de charges que, aidée de la partie la plus honnête et la plus désintéressée de la Chambre, elle peut toujours diriger les résolutions de l’ensemble, du moins assez pour préserver du danger l’ancienne constitution. Nous pouvons donc donner à cette influence le nom qui nous plaît, nous pouvons la désigner par des termes déplaisants comme corruption ou dépendance mais, cette sorte d’influence, jusqu’à un certain degré, est inséparable de la nature même de la constitution et est nécessaire à la préservation de notre gouvernement mixte.
Par conséquent, au lieu d’affirmer de façon absolue que la dépendance du Parlement est en tout point une violation de la liberté britannique, le parti de la Nation aurait dû faire certaines concessions à son adversaire et se contenter d’examiner quel était le degré convenable de cette dépendance au-delà duquel elle devenait dangereuse pour la liberté. Mais il ne faut pas attendre une telle modération de la part d’hommes de partis, quels qu’ils soient. Après une concession de cette nature, toute déclamation aurait dû être abandonnée et les lecteurs auraient attendu une calme enquête sur le degré convenable d’influence de la Cour et de dépendance du Parlement. L’avantage, dans une telle controverse, serait peut-être resté au parti de la Nation mais la victoire n’aurait pas été si complète qu’il le souhaite et un véritable patriote n’aurait pas laissé aller son zèle, de crainte de passer d’un extrême à l’autre en diminuant trop [2] l’influence de la Couronne. On a donc pensé qu’il était meilleur de nier que cet extrême pût être dangereux pour la constitution et que la Couronne pût avoir trop peu d’influence sur les membres du Parlement.
Il est difficile de décider de toutes les questions qui portent sur le juste milieu entre des extrêmes, aussi bien parce qu’il n’est pas facile de trouver les termes appropriés pour déterminer ce milieu que parce que le bien et le mal, dans de tels cas, se fondent si graduellement l’un en l’autre que même nos sentiments deviennent douteux et incertains. Mais, dans le cas actuel, il y a une difficulté particulière qui embarrasserait l’observateur le plus instruit et le plus impartial. Le pouvoir de la Couronne réside toujours en une personne unique, soit un roi, soit un ministre et, comme cette personne peut avoir un plus ou moins grand degré d’ambition, de capacité, de courage, de popularité ou de fortune, le pouvoir, qui est trop grand dans les mains d’une personne peut devenir trop petit dans les mains d’une autre. Dans les républiques pures, où l’autorité est répartie entre différents sénats ou assemblées, les freins et les contrôles sont plus réguliers dans leurs opérations parce qu’on peut présumer que les membres de ces assemblées nombreuses ont toujours une capacité et une vertu à peu près égales ; et c’est seulement leur nombre, leur richesse ou leur autorité qui entrent en considération. Mais une monarchie limitée n’admet pas une telle stabilité et il n’est pas possible d’attribuer à la Couronne tel degré déterminé de pouvoir, quelles que soient les mains qui le détiennent, pour former le contrepoids qui convient aux autres parties de la constitution. C’est un désavantage inévitable de cette espèce de gouvernement qui s’accompagne de tant d’avantages.
Of the
independency of Parliament
Political writers [3] have established it as a maxim,
that, in contriving any system of government, and fixing the several checks and
controls of the constitution, every man ought to be supposed a knave,
and to have no other end, in all his actions, than private interest. By this
interest we must govern him, and, by means of it, make him, notwithstanding his
insatiable avarice and ambition, cooperate to public good. Without this, say
they, we shall in vain boast of the advantages of any constitution, and shall
find, in the end, that we have no security for our liberties or possessions,
except the good-will of our rulers; that is, we shall have no security at all.
It is, therefore, a just political maxim, that every man must
be supposed a knave: Though at the same time, it appears somewhat strange,
that a maxim should be true in politics, which is false in fact.
But to satisfy us on this head, we may consider, that men are generally more
honest in their private than in their public capacity, and will go greater
lengths to serve a party, than when their own private interest is alone
concerned. Honour is a great check upon mankind: But where a considerable body
of men act together, this check is, in a great measure, removed; since a man is
sure to be approved of by his own party, for what promotes the common interest;
and he soon learns to despise the clamours of adversaries. To which we may add,
that every court or senate is determined by the greater number of voices; so
that, if self-interest influences only the majority, (as it will always do) the
whole senate follows the allurements of this separate interest, and acts as if
it contained not one member, who had any regard to public interest and liberty.
When there offers, therefore, to our censure and examination, any plan
of government, real or imaginary, where the power is distributed among several
courts, and several orders of men, we should always consider the separate
interest of each court, and each order; and, if we find that, by the skilful
division of power, this interest must necessarily, in its operation, concur
with public, we may pronounce that government to be wise and happy. If, on the
contrary, separate interest be not checked, and be not directed to the public,
we ought to look for nothing but faction, disorder, and tyranny from such a
government. In this opinion I am justified by experience, as well as by the
authority of all philosophers and politicians, both ancient and modern.
How much, therefore, would it have surprised such a genius as Cicero or
Tacitus, to have been told, that, in a future age, there should arise a very
regular system of mixed government, where the authority was so
distributed, that one rank, whenever it pleased, might swallow up all the rest,
and engross the whole power of the constitution. Such a government, they would
say, will not be a mixed government. For so great is the natural ambition of
men, that they are never satisfied with power; and if one order of men, by
pursuing its own interest, can usurp upon every other order, it will certainly do
so, and render itself, as far as possible, absolute and uncontrollable.
But, in this opinion, experience shows they would have been mistaken.
For this is actually the case with the British constitution. The share of
power, allotted by our constitution to the house of commons, is so great, that
it absolutely commands all the other parts of the government. The king's
legislative power is plainly no proper check to it. For though the king has a
negative in framing laws; yet this, in fact, is esteemed of so little moment,
that whatever is voted by the two houses, is always sure to pass into a law,
and the royal assent is little better than a form. The principal weight of the
crown lies in the executive power. But besides that the executive power in
every government is altogether subordinate to the legislative; besides this, I
say, the exercise of this power requires an immense expense; and the commons
have assumed to themselves the sole right of granting money. How easy,
therefore, would it be for that house to wrest from the crown all these powers,
one after another; by making every grant conditional, and choosing their time
so well, that their refusal of supply should only distress the government,
without giving foreign powers any advantage over us? Did the house of commons
depend in the same manner on the king, and had none of the members any property
but from his gift, would not he command all their resolutions, and be from that
moment absolute? As to the house of lords, they are a very powerful support to
the Crown, so long as they are, in their turn, supported by it; but both
experience and reason show, that they have no force or authority sufficient to
maintain themselves alone, without such support.
How, therefore, shall we solve this paradox? And by what means is this
member of our constitution confined within the proper limits; since, from our
very constitution, it must necessarily have as much power as it demands, and
can only be confined by itself? How is this consistent with our experience of
human nature? I answer, that the interest of the body is here restrained by
that of the individuals, and that the house of commons stretches not its power,
because such an usurpation would be contrary to the interest of the majority of
its members. The crown has so many offices at its disposal, that, when assisted
by the honest and disinterested part of the house, it will always command the
resolutions of the whole so far, at least, as to preserve the ancient
constitution from danger. We may, therefore, give to this influence what name
we please; we may call it by the invidious appellations of corruption
and dependence; but some degree and some kind of it are inseparable from
the very nature of the constitution, and necessary to the preservation of our
mixed government.
Instead then of asserting absolutely, that the dependence of parliament,
in every degree, is an infringement of British liberty, the country-party
should have made some concessions to their adversaries, and have only examined
what was the proper degree of this dependence, beyond which it became dangerous
to liberty. But such a moderation is not to be expected in party-men of any
kind. After a concession of this nature, all declamation must be abandoned; and
a calm enquiry into the proper degree of court-influence and parliamentary
dependence would have been expected by the readers. And though the advantage,
in such a controversy, might possibly remain to the country-party; yet
the victory would not be so complete as they wish for, nor would a true patriot
have given an entire loose to his zeal, for fear of running matters into a
contrary extreme, by diminishing too [4] far the influence of the crown. It
was, therefore, thought best to deny, that this extreme could ever be dangerous
to the constitution, or that the crown could ever have too little influence
over members of parliament.
All questions concerning the proper
medium between extremes are difficult to be decided; both because it is not
easy to find words proper to fix this medium, and because the good and
ill, in such cases, run so gradually into each other, as even to render our sentiments
doubtful and uncertain. But there is a peculiar difficulty in the present case,
which would embarrass the most knowing and most impartial examiner. The power
of the crown is always lodged in a single person, either king or minister; and
as this person may have either a greater or less degree of ambition, capacity,
courage, popularity, or fortune, the power, which is too great in one hand, may
become too little in another. In pure republics, where the authority is
distributed among several assemblies or senates, the checks and controls are
more regular in their operation; because the members of such numerous
assemblies may be presumed to be always nearly equal in capacity and virtue;
and it is only their number, riches, or authority, which enter into
consideration. But a limited monarchy admits not of any such stability; nor is
it possible to assign to the crown such a determinate degree of power, as will,
in every hand, form a proper counterbalance to the other parts of the
constitution. This is an unavoidable disadvantage, among the many advantages,
attending that species of government.
[1] Dans
les éditions 1741 à 1760, l’essai commence ainsi : « J’ai fréquemment
observé, en comparant la conduite du parti de la Cour et celle du parti
de la Nation que le premier parti, dans la conversation, est souvent
moins prétentieux, moins dogmatique, plus porté à faire des concessions et,
quoiqu’il soit peut-être plus capable de conviction, il supporte pourtant plus
facilement la contradiction que le deuxième parti qui s’emporte à la moindre
opposition et qui considère comme un mercenaire, un intrigant, celui qui
argumente avec sang-froid et impartialité ou fait des concessions à ses
adversaires. Je crois que c’est un fait qui peut avoir été observé par ceux qui
ont beaucoup fréquenté des lieux où l’on débat de questions politiques. Si l’on
interroge les partis sur la raison de cette différence de conduite, chaque
parti aura une explication différente. Les Gentlemen de l’opposition
l’attribueront à la nature même de leur parti qui, se fondant sur l’esprit
public et la défense de la constitution, ne peut facilement tolérer des
doctrines dont les conséquences sont pernicieuses pour la liberté. D’un autre
côté, les partisans de la Cour nous rappelleront l’histoire du rustre
mentionnée par Lord Shaftesbury. « Il prit à un rustre, dit cet excellent
auteur, la fantaisie d’écouter les disputes en latin des docteurs d’une
université. On lui demanda quel plaisir il pouvait prendre à voir ces
disputeurs, lui qui ne pouvait pas savoir qui l’emporterait. « En
fait, répondit-il, j’suis point assez sot pour n’point voir celui qui
met l’aut’ en colère en premier. » C’est la nature elle-même qui avait
donné une leçon au rustre : celui qui aurait le meilleur argument serait
tranquille et de bonne humeur tandis que celui qui serait incapable de soutenir
sa cause par la raison perdrait son calme et deviendrait violent. »[Characteristics
of men, manners, opinions, times, etc. Vol.2, p.222, Robertson, Londres,
1900. NdT]
Quelle raison devons-nous
accepter ? Aucune, selon moi, à moins d’avoir l’idée de s’engager et de
devenir un zélateur de l’un des partis. Je crois que, sans les offenser, je
peux donner la raison de cette différence de conduite. Le parti de la Nation
est manifestement le plus populaire actuellement et il l’a peut-être été sous
la plupart des administrations, de sorte que, habitué à prévaloir en société,
il ne peut supporter de voir ses opinions contredites et il est aussi assuré de
la faveur du public que si tous ses sentiments étaient soutenus par des
démonstrations infaillibles. D’un autre
côté, les partisans de la Cour sont souvent si molestés par les orateurs du
peuple que, si vous leur parlez avec modération ou si vous leur faites les plus
petites concessions, ils se croient extrêmement obligés envers vous et sont
capables de vous rendre la politesse par une semblable modération et une
semblable courtoisie. La furie et la passion, ils le savent, ne leur
donneraient qu’une chose : recevoir le titre de mercenaires éhontés,
et non pas celui de patriotes zélés, titre que l’autre parti se réserve
pour désigner le même échauffement de sa part.
Dans toutes les controverses,
nous voyons – sans considérer qui se trompe et qui est dans le vrai – que ceux
qui défendent les opinions établies et populaires sont toujours plus
dogmatiques et impérieux dans leur style tandis que leurs adversaires affectent
une douceur et une modération extraordinaires afin d’adoucir autant que
possible les préjugés qui se manifestent contre eux. Considérez le comportement
de nos libres penseurs de toutes sortes, qu’ils décrient la révélation
ou qu’ils s’opposent seulement au pouvoir exorbitant du clergé : Collins,
Tindal, Foster, Hoadley. Comparez leur modération et leurs bonnes manières au
zèle furieux et à la grossièreté de leurs adversaires et vous serez convaincus
de la justesse de mon observation. Une semblable différence peut être observée
dans la conduite des écrivains français qui participèrent à la controverse sur
les Anciens et les Modernes. Boileau, Monsieur et Madame Dacier, l’abbé de Bos,
qui défendirent le parti des Anciens, mêlèrent à leurs raisonnements des satires
et des invectives alors que Fontenelle, La Motte, Charpentier et même Perrault
ne transgressèrent jamais les limites de la modération et de la bonne
éducation, même quand ils furent provoqués par le plus injurieux traitement de
leurs adversaires.
Je dois cependant signaler que
ce que j’ai dit sur l’apparente modération du parti de la Cour se limite
entièrement à la conversation et aux gentlemen qui se sont engagés par intérêt
ou par inclination dans ce parti. Ceux qui écrivent pour la Cour sont communément
des écrivailleurs à gages aussi grossiers que les mercenaires de l’autre
parti : le Gazetteer [the Daily Gazetteer, journal gouvernemental.
NdT.] ne vaut pas mieux, à cet égard,
que le Common Sense [journal de l’opposition. NdT.]. Un homme bien
élevé, quel que soit le parti, montrera ce qu’il est par sa bonne éducation et
sa décence, tout comme un vaurien trahira toujours les qualités opposées. The false Accusers
accus'd, &c. [Pamphlet anonyme. NdT.]
est très calomnieux et pourtant, il faudrait que ce côté de la question,
puisqu’il est moins populaire, soit défendu avec plus de modération. Quand L—d B—e,
L—d M—t, Mr. L—n [Lord Bolingbroke, Lord Marchmont
et George Lyttleton. NdT.] prennent la
plume, bien qu’ils écrivent avec chaleur, ils n’abusent pas de leur popularité
jusqu’à passer les bornes de la décence.
J’ai été conduit à cette suite de réflexions en lisant certains écrits qui traitent de ce grand sujet qu’est l’influence de la Cour et la dépendance du Parlement. A mon humble avis, le parti de la Cour, outre sa véhémence et ses railleries, s’y montre trop rigide et trop inflexible et montre une trop grande jalousie pour ce qui est de faire des concessions à ses adversaires. Ses raisonnements perdent de leur force à être poussés trop loin ; et il a été tant séduit par la popularité de ses opinions qu’il a négligé, dans une certaine mesure, leur justesse et leur solidité. Cette opinion sera, je l’espère, justifiée par le raisonnement qui suit. » (NdT)
[2] Par cette influence de la Couronne, que je veux justifier, j’entends seulement celle qui provient des charges et des honneurs dont dispose la Couronne. Pour ce qui est de la corruption privée, on peut la considérer comme l’emploi d’espions, ce qui n’est guère justifiable sous un bon ministère et ce qui est infâme sous un mauvais. Etre un espion ou être corrompu est toujours infâme, quel que soit le ministère et il faut considérer ces pratiques comme une prostitution honteuse. Polybe (Lib.vi.cap.15.) estime à juste titre que l’influence pécuniaire du Sénat et des Censeurs était l’un des contrepoids réguliers et constitutionnels qui préservèrent la balance du gouvernement romain.
[3] Dans les éditions
1741 à 1760, l’essai commence ainsi : « I have frequently observed,
in comparing the conduct of the court and country parties, that
the former are commonly less assuming and dogmatical in conversation, more apt
to make concessions; and tho' not, perhaps, more susceptible of conviction, yet
more able to bear contradiction than the latter; who are apt to fly out upon
any opposition, and to regard one as a mercenary designing fellow, if he argues
with any coolness and impartiality, or makes any concessions to their
adversaries. This is a fact, which, I believe, every one may have observed, who
has been much in companies where political questions have been discussed; tho',
were one to ask the reason of this difference, every party would be apt to
assign a different reason. Gentlemen in the Opposition will ascribe it
to the very nature of their party, which, being founded on public spirit, and a
zeal for the constitution, cannot easily endure such doctrines, as are of
pernicious consequence to liberty. The courtiers, on the other hand, will be
apt to put us in mind of the clown mentioned by lord Shaftsbury. "A clown,"
says that excellent author, "once took a fancy to hear the Latin
disputes of doctors at an university. He was asked what pleasure he could take
in viewing such combatants, when he could never know so much, as which of the
parties had the better. For that matter, replied the clown, I a'n't
such a fool neither, but I can see who's the first that puts t'other into a
passion. Nature herself dictated this lesson to the clown, that he who had
the better of the argument would be easy and well-humoured: But he who was
unable to support his cause by reason would naturally lose his temper and grow
violent."
To which of these
reasons shall we adhere? To neither of them, in my opinion; unless we have a
mind to enlist ourselves and become zealots in either party. I believe I can
assign the reason of this different conduct of the two parties, without
offending either. The country party are plainly most popular at present, and
perhaps have been so in most administrations: So that, being accustomed to
prevail in company, they cannot endure to hear their opinions controverted, but
are as confident on the public favour, as if they were supported in all their
sentiments by the most infallible demonstration. The courtiers, on the other
hand, are commonly so run down by popular talkers, that if you speak to them
with any moderation, or make them the smallest concessions, they think
themselves extremely beholden to you, and are apt to return the favour by a
like moderation and facility on their part. To be furious and passionate, they
know, would only gain them the character of shameless mercenaries; not
that of zealous patriots, which is the character that such a warm
behaviour is apt to acquire to the other party.
In all
controversies, we find, without regarding the truth or falshood on either side,
that those who defend the established and popular opinions, are always the most
dogmatical and imperious in their stile: while their adversaries affect almost
extraordinary gentleness and moderation, in order to soften, as much as possible,
any prejudices that may lye against them. Consider the behavior of our free-thinkers
of all denominations, whether they be such as decry all revelation, or only
oppose the exorbitant power of the clergy; Collins, Tindal, Foster, Hoadley.
Compare their moderation and good manners with the furious zeal and scurrility
of their adversaries, and you will be convinced of the truth of my observation.
A like difference may be observed in the conduct of those French writers, who
maintained the controversy with regard to ancient and modern learning. Boileau,
Monsieur and Madame Dacier, l'Abbé de Bos, who defended the party
of the ancients, mixed their reasonings with satire and invective; while
Fontenelle, la Motte, Charpentier, and even Perrault, never transgressed the
bounds of moderation and good breeding; though provoked by the most injurious
treatment of their adversaries.
I must, however, observe, that
this Remark with regard to the seeming Moderation of the Court Party, is
entirely confin'd to Conversation, and to Gentlemen, who have been engag'd by
Interest or Inclination in that Party. For as to the Court-Writers, being
commonly hir'd Scriblers, they are altogether as scurrilous as the Mercenaries
of the other Party; nor has the Gazeteer any Advantage, in this Respect,
above Common Sense. A man of Education will, in any Party, discover
himself to be such, by his Good-breeding and Decency; as a Scoundrel will
always betray the opposite Qualities. The false Accusers accus'd,
&c. is very scurrillous, tho' that Side of the Question, being least
popular, shou'd be defended with most Moderation. When L—d B—e,
L—d M—t, Mr. L—n take the Pen in Hand, tho' they
write with Warmth, they presume not upon their Popularity so far as to
transgress the Bounds of Decency.
I am led into this train of reflection, by
considering some papers wrote upon that grand topic of court influence and
parliamentary dependence, where, in my humble opinion, the country party,
besides vehemence and satire, show too rigid an inflexibility, and too great a
jealousy of making concessions to their adversaries. Their reasonings lose
their force by being carried too far; and the popularity of their opinions has
seduced them to neglect in some measure their justness and solidity. The
following reason will, I hope, serve to justify me in this opinion.”
[4] By that influence of the crown, which I would justify, I mean only that which arises from the offices and honours that are at the disposal of the crown. As to private bribery, it may be considered in the same light as the practice of employing spies, which is scarcely justifiable in a good minister, and is infamous in a bad one: But to be a spy, or to be corrupted, is always infamous under all ministers, and is to be regarded as a shameless prostitution. Polybius justly esteems the pecuniary influence of the senate and censors to be one of the regular and constitutional weights, which preserved the balance of the Rroman government. Lib. vi. cap. 15.