David
Hume
Essai sur les partis
en général
in
Essays, Moral and Political
1 volume
Edinburgh, A. Kincaid
1741
Traduction de Philippe Folliot
Parmi
tous les hommes qui se distinguent par des exploits mémorables, la place
d’honneur semble revenir à juste titre aux législateurs et aux fondateurs
d’Etats qui transmettent aux générations futures un système de lois et
d’institutions pour assurer la paix, le bonheur et la liberté. Les inventions
utiles dans les arts et dans les sciences peuvent peut-être étendre davantage
leur influence que les sages lois dont les effets sont limités dans l’espace et
le temps mais le bénéfice qui provient des uns n’est pas aussi sensible que
celui qui résulte des autres. Il est vrai que les sciences spéculatives font
réellement progresser l’esprit mais cet avantage n’atteint qu’une minorité
d’hommes qui ont le loisir de s’y appliquer. Pour ce qui est des arts pratiques
qui accroissent les commodités et les agréments de la vie, tout le monde sait
que le bonheur humain consiste moins en leur abondance qu’en la paix et la
sécurité qui permettent de les posséder ; et ces bienfaits ne peuvent
venir que d’un bon gouvernement. On peut aussi rappeler que la vertu générale
et les bonnes mœurs dans l’Etat, qui sont si nécessaires au bonheur, ne peuvent
jamais venir des préceptes raffinés de la philosophie ou des injonctions les
plus sévères de la religion mais qu’elles doivent venir de l’éducation
vertueuse de la jeunesse, éducation qui vient elle-même de sages lois et de
sages institutions. Il semble donc que je diffère de Lord Bacon sur ce point et
que je doive considérer que l’antiquité a distribué injustement ses honneurs
quand elle a fait des inventeurs des arts utiles des dieux tels que Cérès,
Bacchus et Esculape et qu’elle a honoré ses législateurs tels que Romulus et
Thésée en les appelant seulement des demi-dieux et des héros.
Autant
les législateurs et les fondateurs d’Etats devraient être honorés et respectés
par les hommes, autant les fondateurs de sectes et de factions [1] devraient être détestés et haïs car l’influence des
factions est directement contraire à celle des lois. Les factions corrompent le
gouvernement, rendent les lois impuissantes et produisent les animosités les
plus féroces entre des hommes d’une même nation qui devraient s’aider et se
protéger les uns les autres. Ce qui rend les fondateurs des partis encore plus
odieux est la difficulté d’extirper ces mauvaises herbes une fois qu’elles ont
pris racine dans un Etat. Elles se propagent naturellement pendant des siècles
et ne disparaissent guère que par la totale dissolution du gouvernement dans
lequel elles ont été semées. En outre, ce sont des plantes qui se développent
d’autant plus abondamment que le sol est plus fertile et, quoique les
gouvernements absolus n’en soient pas totalement affranchis, il faut avouer qu’elles
poussent plus facilement et se propagent plus vite dans les gouvernements
libres où elles infectent toujours le pouvoir législatif lui-même, pouvoir qui
serait seul capable de les éradiquer par la ferme application de châtiments et
de récompenses.
On
peut diviser les factions en factions personnelles et en factions réelles,
c’est-à-dire en factions fondées sur une amitié ou une inimitié personnelle
entre les membres qui composent les partis et en factions fondées sur certaines
différences réelles de sentiment ou d’intérêt. La raison de cette distinction
est évidente mais je dois reconnaître qu’on trouve rarement des partis, soit
d’un genre, soit de l’autre, purs et sans mélange. On voit rarement un
gouvernement divisé en factions quand il n’y a aucune différence entre les
points de vue des membres qui le composent, différence réelle ou apparente,
dérisoire ou importante ; et, dans ces factions qui se fondent sur les
différences les plus réelles et les plus importantes, on observe toujours beaucoup
d’affection ou d’animosité personnelle. Mais, malgré ce mélange, on peut
appeler personnel ou réel un parti selon le principe qui y est prédominant et
qui a la plus forte influence.
Les
factions personnelles naissent plus aisément dans les petites républiques.
Toute querelle domestique y devient une affaire d’Etat. L’amour, la vanité,
l’émulation, aussi bien que l’ambition et le ressentiment, y produisent la
division publique. Les Neri et les Bianchi de Florence, les Fregosi
et les Adorni de Gênes, les Colonesi et les Orsini de la
Rome moderne sont des partis de ce genre.
Les
hommes ont une telle propension à se diviser en factions personnelles que la
moindre apparence de différence réelle les fera naître. Que peut-on imaginer de
plus insignifiant que la différence entre les couleurs des livrées dans les
courses de chevaux ? Cette différence donna pourtant naissance aux deux
factions les plus tenaces de l’empire grec, les Prasini et les Veneti
qui ne cessèrent de se quereller tant qu’ils n’eurent pas détruit ce malheureux
gouvernement.
Nous
trouvons dans l’histoire romaine une dissension remarquable entre deux tribus,
la tribu Pollienne et la tribu Papirienne, qui dura près de trois
cents ans et se manifesta dans leurs suffrages à chaque élection de magistrats [2]. Cette faction fut d’autant plus remarquable qu’elle
put durer si longtemps sans se répandre et sans entraîner d’autres tribus dans
la querelle. Si l’humanité n’avait pas une si forte propension à de telles
divisions, l’indifférence du reste de la communauté devrait avoir supprimé
cette ridicule inimitié qui n’était pas alimentée par de nouveaux bienfaits ou
de nouveaux préjudices, par la sympathie ou l’antipathie générale qui ne
manquent jamais de se manifester quand tout l’Etat est scindé en factions
égales. [3]
Rien
n’est plus courant que de voir des partis qui étaient nés à cause d’une réelle
différence continuer à exister même quand cette différence a disparu. Une fois
que des hommes se sont engagés dans des partis opposés, ils contractent une affection
pour les personnes à qui ils sont unis et une inimitié à l’égard de leurs
adversaires ; et ils transmettent ces passions aux générations suivantes.
La réelle différence qui existait entre les Guelfes et les Gibelins
avait depuis longtemps disparu quand ces factions s’éteignirent. Les Guelfes étaient alliés au pape,
les Gibelins à l’empereur. Pourtant, la famille Sforza qui,
quoique Guelfe, était alliée à l’empereur, après avoir été expulsée de Milan
par le roi de France [4] aidé de Jacomo Trivulzio et des Gibelins
– à qui s’allia le pape – se ligua avec le pape contre l’empereur.
Les
guerres civiles qui naquirent il y a quelques années au Maroc entre Blancs
et Noirs se fondent sur une plaisante différence, la seule couleur de
peau. Nous rions d’eux mais je crois que, à examiner les choses plus justement,
les Maures ont beaucoup plus de raisons de rire de nous. En effet, que sont les
guerres de religion qui ont prévalu dans cette partie policée et savante du
monde [que nous habitons]? Elles sont certainement plus absurdes que les
guerres civiles mauresques. La différence de peau est une différence réelle et
perceptible mais la controverse autour d’un article de foi entièrement absurde
et inintelligible n’est pas une différence qui concerne le sentiment mais qui
se rapporte à quelques formules et expressions que l’un des partis accepte et
que l’autre refuse sans les comprendre. [5]
On
peut diviser les factions réelles en factions fondées sur l’intérêt,
sur des principes ou sur l’affection. De toutes ces factions, les
premières sont les plus raisonnables et les plus excusables. Quand deux ordres
d’hommes, comme les nobles et le peuple, ont une autorité distincte dans un
gouvernement où la balance n’est pas établie avec précision, ils suivent
naturellement un intérêt distinct et on ne peut raisonnablement attendre une
conduite différente si l’on considère le degré d’égoïsme implanté dans la
nature humaine. Il faut qu’un législateur soit très habile pour prévenir de
tels partis et de nombreux philosophes sont d’opinion que ce secret, tout comme
celui du grand élixir [6] ou du mouvement perpétuel, peut amuser en
théorie mais ne peut pas être mis en pratique. Il est vrai que, dans les
gouvernements despotiques, les factions sont plus rares mais elles n’en sont
pas moins réelles ou, plutôt, elles sont plus réelles et plus pernicieuses
justement pour cette raison. Les ordres distincts d’hommes, la noblesse et le
peuple, les soldats et les marchands, ont tous un intérêt distinct mais le plus
puissant opprime le plus faible en toute impunité et sans rencontrer de
résistance, ce qui produit dans ces gouvernements une apparence de
tranquillité.[7]
On a
essayé en Angleterre de séparer les propriétaires fonciers des marchands
de la nation mais sans succès. Les intérêts de ces deux corps ne sont pas
réellement distincts et ne le seront jamais tant que notre dette publique
n’aura pas atteint le point où elle deviendra accablante et intolérable.
Les
partis fondés sur des principes, surtout des principes abstraits et
spéculatifs, ne sont connus que de l’époque moderne et sont peut-être le phénomène
le plus extraordinaire et le plus inexplicable qui ait été vu dans les affaires
humaines. Quand des principes différents engendrent des conduites contraires,
ce qui est le cas de tous les différents principes politiques, la chose peut
s’expliquer plus facilement. Celui qui estime que le véritable droit de
gouvernement se trouve en un homme ou une famille peut difficilement s’accorder
avec ceux qui pensent que ce droit revient à un autre homme ou une autre
famille. Chacun souhaite naturellement que le droit tel qu’il le conçoit soit
appliqué. Mais, quand la différence de principe ne s’accompagne pas d’actions
contraires et que chacun peut suivre sa propre voie sans se mêler de ses
semblables, comme il arrive dans les controverses religieuses, quelle folie et
quelle fureur peuvent produire ces malheureuses divisions funestes ?
Quand
deux hommes voyagent sur une grande route, l’un vers l’est, l’autre vers
l’ouest, ils peuvent facilement se croiser si la route est assez large mais,
quand deux hommes raisonnent à partir de principes religieux contraires, ils ne
peuvent se croiser aussi facilement sans se heurter, même si l’on pense que la
route, aussi dans ce cas, est assez large pour que chacun poursuive son chemin
personnel sans être gêné. Mais telle est la nature de l’esprit humain qu’il
veut toujours avoir prise sur l’esprit qu’il croise et, de même qu’il est
merveilleusement fortifié par l’unanimité des sentiments, de même il est choqué
et troublé par toute opposition. De là vient l’irritation que révèlent la
plupart des gens dans les disputes, de là vient qu’ils supportent mal
l’opposition, même dans le domaine des opinions les plus spéculatives et les
plus indifférentes.
Ce
principe, quelque frivole qu’il puisse sembler, paraît pourtant être l’origine
de toutes les guerres et divisions religieuses. Mais, bien que ce principe soit
universel dans la nature humaine, ses effets auraient dû se limiter à une
époque et à une secte religieuse s’il n’avait pas coïncidé avec d’autres causes
plus accidentelles qui l’élevèrent à un niveau qui produisit le plus grand
malheur et la plus grande dévastation. La plupart des religions du monde
antique naquirent aux époques obscures du gouvernement, quand les hommes
étaient aussi barbares qu’incultes et que le prince était aussi disposé que le
paysan à admettre avec une foi tacite toutes les pieuses fables et toutes les
fictions qu’on lui présentait. Le magistrat, embrassant la religion du peuple
et acceptant de s’occuper des affaires sacrées, acquit naturellement une
autorité sur les hommes et il unit le pouvoir ecclésiastique au pouvoir civil.
Mais, quand apparut la religion chrétienne, des principes qui lui étaient
directement contraires étaient fermement établis dans la partie policée du
monde qui méprisa la nation qui avait choisi cette nouveauté. En de telles
circonstances, il n’est pas étonnant que cette religion ait été peu tolérée par
le magistrat civil et que les prêtres aient pu s’emparer de toute l’autorité au
sein de la nouvelle secte. Ils firent un si mauvais usage de ce pouvoir, même
en ces temps reculés, que les premières persécutions peuvent peut-être être
attribuées en partie [8] à la violence qu’ils avaient instillée en leurs
fidèles. Les mêmes principes du gouvernement des prêtres demeurant quand le
christianisme devint la religion établie, ils engendrèrent un esprit de
persécution qui est depuis le poison de la société humaine et la source des
factions les plus tenaces dans tout gouvernement. Par conséquent, de telles
divisions, par rapport au peuple, peuvent être à juste titre considérées comme
des factions de principe mais, par rapport aux prêtres, qui en sont les
principaux acteurs, elles sont réellement des factions d’intérêt.
Il
existe une autre cause (outre l’autorité des prêtres et la séparation des
pouvoirs ecclésiastique et civil) qui a contribué à faire de la Chrétienté le
théâtre des guerres et des divisions religieuses. Les religions qui naissent à
des époques de totale ignorance et de totale barbarie consistent
essentiellement en fables et fictions traditionnelles qui peuvent être
différentes selon les sectes sans être contraires les unes aux autres ; et
même quand elles sont contraires, chacun adhère à la tradition de sa propre
secte sans beaucoup raisonner ou disputer. Mais, comme la philosophie s’était
largement répandue dans le monde à l’époque de la naissance du christianisme,
les docteurs de la nouvelle secte furent obligés de constituer un système
d’opinions spéculatives, de distinguer avec une certaine précision leurs
articles de foi et de les expliquer, de les commenter, de réfuter et de
défendre avec toute la subtilité de l’argumentation et de la science. De là
vint naturellement l’âpreté des disputes quand de nouveaux schismes et de
nouvelles hérésies divisèrent la religion chrétienne. Cette âpreté aida les
prêtres dans leur politique qui consistait à engendrer une haine et une
antipathie réciproques chez leurs fidèles pleins d’illusions. Dans le monde antique,
les sectes philosophiques étaient plus zélées que les partis religieux mais,
dans les temps modernes, ces derniers sont plus furieux et plus enragés que les
plus cruelles factions qui soient nées de l’intérêt et de l’ambition.
J’ai
considéré que les partis d’affection appartenaient aux partis réels
à côté des partis d’intérêt et des partis de principes. Par
partis d’affection, j’entends ceux qui se fondent sur divers attachements à des
familles ou des personnes particulières par lesquelles nous désirons être
gouvernés. Ces factions sont souvent très violentes bien que, je l’avoue, il
puisse sembler inexplicable que les hommes s’attachent aussi fortement à des
personnes qu’ils ne connaissent en aucune façon, qu’ils n’ont peut-être jamais
vues et de qui ils n’ont jamais reçu de faveurs, faveurs qu’ils ne peuvent même
pas espérer. Malgré cela, nous constatons que c’est souvent le cas et même avec
des hommes qui, en d’autres occasions, ne font pas preuve d’une grande
générosité d’esprit et ne sont pas aisément transportés par l’amitié au-delà de
leur intérêt personnel. Nous avons tendance à penser que la relation entre nous
et notre souverain est très étroite et très intime. Les splendeurs de la
majesté et du pouvoir donnent de l’importance aux destinées des hommes, même à
celle d’un simple particulier. Et, quand la bonne nature d’un homme ne lui
donne pas cet intérêt imaginaire, sa mauvaise nature le fera par dépit et par
opposition envers des personnes dont les sentiments diffèrent des siens.
OF PARTIES IN GENERAL
Of all men, that
distinguish themselves by memorable achievements, the first place of honour
seems due to Legislators and founders of states, who transmit a system of laws
and institutions to secure the peace, happiness, and liberty of future
generations. The influence of useful inventions in the arts and sciences may,
perhaps, extend farther than that of wise laws, whose effects are limited both
in time and place; but the benefit arising from the former, is not so sensible
as that which results from the latter. Speculative sciences do, indeed, improve
the mind; but this advantage reaches only to a few persons, who have leisure to
apply themselves to them. And as to practical arts, which encrease the
commodities and enjoyments of life, it is well known, that men's happiness
consists not so much in an abundance of these, as in the peace and security
with which they possess them; and those blessings can only be derived from good
government. Not to mention, that general virtue and good morals in a state,
which are so requisite to happiness, can never arise from the most refined
precepts of philosophy, or even the severest injunctions of religion; but must
proceed entirely from the virtuous education of youth, the effect of wise laws
and institutions. I must, therefore, presume to differ from Lord Bacon in this
particular, and must regard antiquity as somewhat unjust in its distribution of
honours, when it made gods of all the inventors of useful arts, such as Ceres,
Bacchus, Æsculapus; and dignify legislators, such as Romulus and Theseus, only
with the appellation of demigods and heroes.
As much as
legislators and founders of states ought to be honoured and respected among men,
as much ought the founders of sects and factions to be detested and hated;
because the influence of faction is directly contrary to that of laws. Factions
subvert government, render laws impotent, and beget the fiercest animosities
among men of the same nation, who ought to give mutual assistance and
protection to each other. And what should render the founders of parties more
odious is, the difficulty of extirpating these weeds, when once they have taken
root in any state. They naturally propagate themselves for many centuries, and
seldom end but by the total dissolution of that government, in which they are
sown. They are, besides, plants which grow most plentifully in the richest
soil; and though absolute governments be not wholly free from them, it must be
confessed, that they rise more easily, and propagate themselves faster in free
governments, where they always infect the legislature itself, which alone could
be able, by the steady application of rewards and punishments, to eradicate
them.
Factions may be divided into personal and real; that is,
into factions, founded on personal friendship or animosity among such as
compose the contending parties, and into those founded on some real difference
of sentiment or interest. The reason of this distinction is obvious; though I
must acknowledge, that parties are seldom found pure and unmixed, either of the
one kind or the other. It is not often seen, that a government divides into
factions, where there is no difference in the views of the constituent members,
either real or apparent, trivial or material: And in those factions, which are
founded on the most real and most material difference, there is always observed
a great deal of personal animosity or affection. But notwithstanding this
mixture, a party may be denominated either personal or real, according to that
principle which is predominant, and is found to have the greatest influence.
Personal factions arise most easily in small republics. Every domestic
quarrel, there, becomes an affair of state. Love, vanity, emulation, any
passion, as well as ambition and resentment, begets public division. The Neri
and Bianchi of Florence, the Fregosi and Adorni of Genoa,
the Colonesi and Orsini of modern Rome, were parties of this
kind.
Men have such a propensity to divide into personal factions, that the
smallest appearance of real difference will produce them. What can be imagined
more trivial than the difference between one colour of livery and another in
horse races? Yet this difference begat two most inveterate factions in the grek
empire, the Prasini and Veneti, who never suspended their
animosities, till they ruined that unhappy government.
We find in the roman history a remarkable dissension between two tribes,
the Pollia and Papiria, which continued for the space of near
three hundred years, and discovered itself in their suffrages at every election
of magistrates [9]. This faction was the more
remarkable, as it could continue for so long a tract of time; even though it did
not spread itself, nor draw any of the other tribes into a share of the
quarrel. If mankind had not a strong propensity to such divisions, the
indifference of the rest of the community must have suppressed this foolish
animosity, that had not any aliment of new benefits and injuries, of general
sympathy and antipathy, which never fail to take place, when the whole state is
rent into two equal factions.
Nothing is more usual than to see parties, which have begun upon a real
difference, continue even after that difference is lost. When men are once
inlisted on opposite sides, they contract an affection to the persons with whom
they are united, and an animosity against their antagonists: And these passions
they often transmit to their posterity. The real difference between Guelf
and Ghibbelline was long lost in Italy, before these factions were
extinguished. The Guelfs adhered to the pope, the Ghibbellines to
the emperor; yet the family of Sforza, who were in alliance with the
emperor, though they were Guelfs, being expelled Milan by the
king of France [10], assisted by Jacomo Trivulzio
and the Ghibbellines, the pope concurred with the latter, and they
formed leagues with the pope against the emperor.
The civil wars which arose some few years ago in Morocco, between the blacks
and whites, merely on account of their complexion, are founded on a
pleasant difference. We laugh at them; but I believe, were things rightly
examined, we afford much more occasion of ridicule to the Moors. For, what are
all the wars of religion, which have prevailed in this polite and knowing part
of the world? They are certainly more absurd than the Moorish civil wars. The
difference of complexion is a sensible and a real difference: But the
controversy about an article of faith, which is utterly absurd and
unintelligible, is not a difference in sentiment, but in a few phrases and
expressions, which one party accepts of, without understanding them; and the
other refuses in the same manner. [11]
Real
factions may be divided into those from interest, from principle,
and from affection. Of all factions, the first are the most reasonable,
and the most excusable. Where two orders of men, such as the nobles and people,
have a distinct authority in a government, not very accurately balanced and modelled,
they naturally follow a distinct interest; nor can we reasonably expect a
different conduct, considering that degree of selfishness implanted in human
nature. It requires great skill in a legislator to prevent such parties; and
many philosophers are of opinion, that this secret, like the grand elixir,
or perpetual motion, may amuse men in theory, but can never possibly be
reduced to practice. In despotic governments, indeed, factions often do not
appear; but they are not the less real; or rather, they are more real and more
pernicious, upon that very account. The distinct orders of men, nobles and
people, soldiers and merchants, have all a distinct interest; but the more
powerful oppresses the weaker with impunity, and without resistance; which begets
a seeming tranquillity in such governments.
There has been an attempt in England to divide the landed and trading
part of the nation; but without success. The interests of these two bodies are
not really distinct, and never will be so, till our public debts encrease to
such a degree, as to become altogether oppressive and intolerable.
Parties from principle, especially abstract speculative
principle, are known only to modern times, and are, perhaps, the most
extraordinary and unaccountable phænomenon, that has yet appeared in
human affairs. Where different principles beget a contrariety of conduct, which
is the case with all different political principles, the matter may be more
easily explained. A man, who esteems the true right of government to lie in one
man, or one family, cannot easily agree with his fellow-citizen, who thinks
that another man or family is possessed of this right. Each naturally wishes
that right may take place, according to his own notions of it. But where the
difference of principle is attended with no contrariety of action, but every
one may follow his own way, without interfering with his neighbour, as happens
in all religious controversies; what madness, what fury can beget such unhappy
and such fatal divisions?
Two men travelling on the highway, the one east, the other west, can
easily pass each other, if the way be broad enough: But two men, reasoning upon
opposite principles of religion, cannot so easily pass, without shocking;
though one should think, that the way were also, in that case, sufficiently
broad, and that each might proceed, without interruption, in his own course.
But such is the nature of the human mind, that it always lays hold on every
mind that approaches it; and as it is wonderfully fortified by an unanimity of
sentiments, so is it shocked and disturbed by any contrariety. Hence the
eagerness, which most people discover in a dispute; and hence their impatience
of opposition, even in the most speculative and indifferent opinions.
This principle, however frivolous it may appear, seems to have been the
origin of all religious wars and divisions. But as this principle is universal
in human nature, its effects would not have been confined to one age, and to
one sect of religion, did it not there concur with other more accidental
causes, which raise it to such a height, as to produce the greatest misery and
devastation. Most religions of the ancient world arose in the unknown ages of
government, when men were as yet barbarous and uninstructed, and the prince, as
well as peasant, was disposed to receive, with implicit faith, every pious tale
or fiction, which was offered him. The magistrate embraced the religion of the
people, and entering cordially into the care of sacred matters, naturally
acquired an authority in them, and united the ecclesiastical with the civil
power. But the Christian religion arising, while principles directly
opposite to it were firmly established in the polite part of the world, who
despised the nation that first broached this novelty; no wonder, that, in such
circumstances, it was but little countenanced by the civil magistrate, and that
the priesthood was allowed to engross all the authority in the new sect. So bad
a use did they make of this power, even in those early times, that the primitive
persecutions may, perhaps, in part [12], be ascribed to the violence instilled by them
into their followers. And the same principles of priestly government
continuing, after Christianity became the established religion, they have
engendered a spirit of persecution, which has ever since been the poison of
human society, and the source of the most inveterate factions in every
government. Such divisions, therefore, on the part of the people, may justly be
esteemed factions of principle; but, on the part of the priests, who are
the prime movers, they are really factions of interest.
There is another
cause (beside the authority of the priests, and the separation of the
ecclesiastical and civil powers) which has contributed to render Christendom
the scene of religious wars and divisions. Religions, that arise in ages
totally ignorant and barbarous, consist mostly of traditional tales and
fictions, which may be different in every sect, without being contrary to each
other; and even when they are contrary, every one adheres to the tradition of
his own sect, without much reasoning or disputation. But as philosophy was
widely spread over the world, at the time when Christianity arose, the teachers
of the new sect were obliged to form a system of speculative opinions; to
divide, with some accuracy, their articles of faith; and to explain, comment,
confute, and defend with all the subtilty of argument and science. Hence
naturally arose keenness in dispute, when the Christian religion came to be
split into new divisions and heresies: And this keenness assisted the priests
in their policy, of begetting a mutual hatred and antipathy among their deluded
followers. Sects of philosophy, in the ancient world, were more zealous than
parties of religion; but in modern times, parties of religion are more furious
and enraged than the most cruel factions that ever arose from interest and
ambition.
I have mentioned parties from affection as a kind of real
parties, beside those from interest and principle. By parties from
affection, I understand those which are founded on the different attachments of
men towards particular families and persons, whom they desire to rule over
them. These factions are often very violent; though, I must own, it may seem
unaccountable, that men should attach themselves so strongly to persons, with
whom they are no wise acquainted, whom perhaps they never saw, and from whom
they never received, nor can ever hope for any favour. Yet this we often find
to be the case, and even with men, who, on other occasions, discover no great
generosity of spirit, nor are found to be easily transported by friendship
beyond their own interest. We are apt to think the relation between us and our
sovereign very close and intimate. The splendour of majesty and power bestows
an importance on the fortunes even of a single person. And when a man's
good-nature does not give him this imaginary interest, his ill-nature will,
from spite and opposition to persons whose sentiments are different from his
own.
[1] Hume ne fait ici aucune distinction entre partis, sectes et factions. (NdT)
[2] Comme ce fait n’a pas été très remarqué par les spécialistes de l’antiquité et par les auteurs politiques, je le livrerai dans les paroles de l’historien romain : Populus Tusculanus cum conjugibus ac liberis Roman venit: Ea multitudo, veste mutata, & specie reorum tribus circuit, genibus se omnium advolvens. Plus itaque misericordia ad pœnæ veniam impetrandam, quam causa ad crimen purgandum valuit. Tribus omnes præter Polliam, antiquarunt legem. Polliæ sententia fuit, puberes verberatos necari, liberos conjugesque sub corona lege belli venire: Memoriamque ejus iræ Tusculanis in pænæ tam atrocis auctores mansisse ad patris ætatem constat; nec quemquam fere ex Pollia tribu candidatum Papiram ferre solitam, T. LIVII, lib. 8. [Le peuple de Tusculum, avec femmes et enfants, vint à Rome; et cette multitude, prenant les vêtements et les dehors des accusés, parcourut les tribus, se roulant aux genoux de tous les citoyens; et la compassion réussit mieux à les préserver du châtiment, que l'examen de leur cause à les justifier de l'accusation. Toutes les tribus, hors la Pollia, repoussèrent la loi. La sentence de la Pollia portait que les pubères seraient fouettés et mis à mort, les femmes et les enfants vendus à l'encan selon le droit de la guerre. Les Tusculans s'en souvinrent; on sait que leur ressentiment contre les auteurs d'un arrêt si atroce dura jusqu'au temps même de nos pères, et que presque jamais candidat de la tribu Pollia n'eut l'appui de la Papiria. Tite Live : Histoire romaine, VIII, 37, 9 à 12, Traduction Nisard, 1864. NdT]. Les Castellani et les Nicolloti sont deux factions plébéiennes qui se battent fréquemment puis oublient bientôt leurs querelles. [la dernière phrase de cette note a été ajoutée en 1748. NdT]
[3] Paragraphe ajouté en 1742. (NdT)
[4] Louis XII.
[5] Les éditions 1741 à 1768 ajoutent : De plus, je ne vois pas que les blancs du Maroc aient jamais imposé aux noirs la nécessité de changer de couleur de peau ou les aient menacés de l’inquisition ou des lois pénales en cas de résistance ; et les noirs n’ont pas été plus déraisonnables sur ce point. Quand un homme est capable de former une opinion réelle, choisit-il davantage cette opinion que la couleur de sa peau ? Dans un cas comme dans l’autre, par la force ou la crainte, peut-on obtenir plus que la peinture et le déguisement ?
[6] Ou élixir de longue vie (NdT).
[7] Voir Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains. (note ajoutée en 1753)
[8] Je dis en partie car c’est une erreur courante que d’imaginer que les anciens furent d’aussi grands amis de la tolérance que les Anglais et les Hollandais actuellement. Les lois contre la superstition étrangère, chez les Romains, étaient aussi anciennes que les douze tables, et les Juifs aussi bien que les Chrétiens étaient parfois punis par elles bien que, en général, ces lois ne fussent pas appliquées avec rigueur. Immédiatement après la conquête de la Gaule, ces lois interdirent à tous ceux qui n’étaient pas gaulois d’être initiés à la religion des druides et c’était là une sorte de persécution. Un siècle environ après cette conquête, l’empereur Claude abolit entièrement cette superstition par des lois pénales, ce qui aurait été une grave persécution si l’imitation des mœurs romaines n’avait pas auparavant sevré les Gaulois de leurs anciens préjugés (Suétone : Vie de Claude). Pline attribue cette abolition des superstitions druidiques à Tibère, probablement parce que cet empereur avait pris certaines mesures pour les restreindre (liv.xxx, chap.i). C’est là un exemple de l’habituelle précaution et de l’habituelle modération des Romains dans de tels cas, exemple très différent des méthodes violentes et sanguinaires par lesquelles ils traitèrent les Chrétiens. Cela fait naître un soupçon, que ces furieuses persécutions du christianisme fussent dues dans une certaine mesure à la bigoterie et au zèle imprudents des premiers propagateurs de cette secte ; et l’histoire ecclésiastique nous offre des raisons de confirmer ce soupçon. [cette note ne figure pas dans l’édition de 1741]
[9] As
this fact has not been much observed by antiquaries or politicians, I shall
deliver it in the words of the Roman historian. Populus Tusculanus cum
conjugibus ac liberis Roman venit: Ea multitudo, veste mutata, &
specie reorum tribus circuit, genibus se omnium advolvens. Plus itaque
misericordia ad pœnæ veniam impetrandam, quam causa ad crimen purgandum valuit.
Tribus omnes præter Polliam, antiquarunt legem. Polliæ sententia
fuit, puberes verberatos necari, liberos conjugesque sub corona lege belli
venire: Memoriamque ejus iræ Tusculanis in pænæ tam atrocis auctores
mansisse ad patris ætatem constat; nec quemquam fere ex Pollia tribu
candidatum Papiram ferre solitam, T. LIVII, lib. 8. The Castelani
and Nicolloti are two mobbish factions in Venice, who frequently box together,
and then lay aside their quarrels presently.
[10] Lewis XII.
[11] Besides, I do not find that the whites
in Morocco ever imposed on the blacks any necessity of altering their
complexion, or threatened them with inquisitions and penal laws in case of
obstinacy: nor have the blacks been more unreasonable in this
particular. But is a man's opinion, where he is able to form a real opinion,
more at his disposal than his complexion? And can one be induced by force or
fear to do more than paint and disguise in the one case as well as in the
other?
[12] I
say, in part; For it is a vulgar error to imagine, that the ancients
were as great friends to toleration as the English or Dutch are at present. The
laws against external superstition, amongst the Romans, were as ancient as the
time of the twelve tables; and the Jews as well as Christians were sometimes
punished by them; though, in general, these laws were not rigorously executed.
Immediately after the conquest of Gaul, they forbad all but the natives to be
initiated into the religion of the Druids; and this was a kind of persecution.
In about a century after this conquest, the emperor, Claudius, quite abolished
that superstition by penal laws; which would have been a very grievous
persecution, if the imitation of the roman manners had not, before-hand, weaned
the Gauls from their ancient prejudices. Suetonius in vita Claudii.
Pliny ascribes the abolition of the Druidical superstitions to Tiberius, probably
because that emperor had taken some steps towards restraining them (lib. xxx.
cap. i.). This is an instance of the usual caution and moderation of the Romans
in such cases; and very different from their violent and sanguinary method of
treating the Christians. Hence we may entertain a suspicion, that those
furious persecutions of Christianity were in some measure owing to the
imprudent zeal and bigotry of the first propagators of that sect; and
Ecclesiastical history affords us many reasons to confirm this suspicion.